Les Collisions de Joanne Richoux, coup de coeur

Depuis quelques temps je surveille les sorties des éditions Sarbacane sur les conseils avisés de Mes écrits d’un jour. Afin de me plonger un peu plus dans leur catalogue je leur ai demandé deux titres : Shorba, l’appel de la révolte de Gaspard Flamant et Les collisions de Joanne Richoux. J’ai été vraiment enchantée quand ils m’ont envoyé non pas un seul mais les deux ! Surtout que celui-ci est un coup de cœur du feu de dieu (yes sire!).

Mon résumé

Gabriel et Laetitia entrent en Terminale Littéraire. La dernière année, l’année du BAC, du futur, de l’avenir. Mais y en a t-il seulement un ? Les deux adolescents sont ombrageux, malheureux et en veulent au monde entier. Au programme Les Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos. Un roman épistolaire jugé scandaleux où Merteuil et Valmont ourdissent un plan quasi machiavélique pour dévergonder, manipuler et pousser à bout d’autres personnages. D’un coup d’œil complice, les deux adolescents réinventent le roman et lui donne un nouveau nom : Les Collisions. Mais encore faut-il ne pas tomber dans son propre piège…

Mon avis

J’ai eu un coup de cœur incroyable pour ce roman. Joanne Richoux a un talent unique pour explorer les extrêmes de l’adolescence : rendre fou Dorian, un élève sous médicament, coucher avec la professeure d’arts plastiques Amandine Brugnon, dévergonder Ninon une jeune fille avec des boucles d’oreilles sous forme de hiboux, transformer Solal, le garçon un peu gauche en bête de sexe… Gabriel et Laetitia tissent leur toile d’araignée avec adresse. Le grand final approche et il faut qu’il soit grandiose !

Je pense que ce roman sera un « ça passe ou ça casse » avec la plupart d’entre vous. Parce que ces personnages sont de vraies ordures, vraiment. Bon, Gabriel se rattrape un petit peu dans la seconde partie du roman. Mais ils sont sans concessions, noirs, diaboliques et surtout ils se connaissent bien, sont presque fusionnels et acceptent tout l’un de l’autre.

« La première fois qu’il avait eu affaire à ce regard banquise, Gabriel avait 13 ans. Il avait compris tout de suite. Avec Laetitia, il pourrait être lui-même. Complet – la noirceur incluse. »

Ensemble ils pourraient combattre le monde entier, mais c’est aussi un duo fragile qu’un rien pourrait faire voler en éclat, surtout les autres. Laetitia le dit très bien elle-même : elle préfère donner le premier coup que d’attendre qu’on la blesse.

« Ils comptent tellement qu’ils ont le pouvoir de me casser en deux, sans même s’en apercevoir… Alors je préfère attaquer la première, tu vois ? Ce n’est pas de ma faute. »

Nos deux personnages ont tous les deux leurs lots de blessures qui alimentent leur haine, leur rancœur, leur part d’ombre, cette noirceur qui les dévore. Laetitia vit dans un taudis aux côtés d’une mère alcoolique tandis que Gabriel a vu son frère, Evan, suspendu au plafond par une corde et vit depuis dans son sillage, sa mère est partie et son père quasiment absent : physiquement et mentalement.

Souvent, nous avons le réflexe de nous protéger, mais également de prendre soin des autres, d’effacer notre noirceur sous une couche parfois fausse, souvent hypocrite, de sourires. Eux l’embrassent et c’est cela qui dérange. Et malgré tout, malgré tout, nous les aimons ces personnages – et c’est peut-être là le plus grand talent de Joanne Richoux, nous faire aimer des personnages détestables. Laetitia est intrigante, froide et sauvage, elle possède une aura, magnétique, électrique qui embrase tout sur son passage mais à trop jouer avec le feu, on finit par s’y brûler. Gabriel est un peu plus proche de nous, un peu plus nuancé, il montre de la compréhension et laisse entrapercevoir de la compassion, de la tendresse mais aussi beaucoup de colère.

« – Tu crois qu’on est des genres de monstres, nous aussi ?
– Qu’est-ce que tu veux dire ?
– On se conduit mal, t’es d’accord ?
Laetitia a élargi les lèvres dans un sourire.
Mais Gabriel n’a pas souri en retour. Le regard éteint, il a continué :
– On se dit qu’on fait ça sous prétexte qu’on est malheureux, qu’on a des vies compliquées… Mais peut-être qu’on est juste des ordures ? Que ça nous plaît de bousiller les autres, simplement parce que nous, on est pas foutus de guérir ? Ok, mon vieux est une épave et mon frère s’est pendu… Est-ce que ça me donne le droit de faire tout ça ? »

Quant aux personnages secondaires… je ne sais pas trop quoi en penser. Je n’ai pas beaucoup apprécié Solal, il a tout de même cogné Ninon et ça… je ne sais pas. Cela m’a un peu perturbée. Par contre le personnage de Ninon m’a beaucoup plu, sous ses airs de fille prude et innocente se cache aussi une jeune fille qui a envie qu’on la voit, qu’on la remarque, qui a envie d’exister tout simplement et qui choisit de laisser s’exprimer sa part ombrageuse même si cela peut la détruire. Quant à Dorian… Dorian est peut-être le personnage le plus torturé de la clique. Ayant déjà eu affaire à des soucis psychologiques similaires chez une amie, le voir descendre aussi bas m’a fait beaucoup de mal, j’ai eu pitié, peur de lui et pour lui. C’était à la fois effrayant et…curieux. Je me demande si l’autrice a parlé à des personnes atteintes de ce genre de trouble du comportement : paranoïa, théories du complot et autres se confondent dans son esprit jusqu’à prendre forme dans la réalité. C’est d’ailleurs un point de vue très difficile à suivre, très morcelé et c’est aussi quelque chose qu’instinctivement je n’ai pas eu envie de faire : rentrer dans sa tête.

Quoiqu’il en soit, bien que poussés dans leur derniers retranchements, et plongés dans des situations extrêmes, les personnages de ce roman représentent également une génération : désabusée, tranchée, en perte totale de repère. Et moi je la reconnais. Parce que c’est la mienne. Ces filles qui ne peuvent plus s’accepter et qui se comparent aux canons de beauté, qui se détruisent pour leur ressembler ; ces garçons à qui on apprend rien et surtout pas à respecter une femme puis, qu’une seule parole malavisée peut conduire sur un chemin tortueux ; des adolescents qui ne voient plus d’avenir nulle part alors que la planète se barre en cacahuète, que tout fout le camp…

« Parce que derrière les grilles du bahut, y a aucun destin fabuleux, style téléfilm à la con, qui nous attend. Juste cette salope de réalité, avec sa gueule d’acier qui va nous broyer. »

Et bien sûr, je ne vous en dirais pas plus que quelques mots, mais cette montée en puissance, cette adrénaline qui à parcouru mes veines, le souffle coupé comme si j’avais couru un marathon, je l’ai ressentie, crescendo, inévitable, jusqu’à la fin : l’apothéose, l’apocalypse. Formidable.

En résumé

Une réécriture fabuleuse, noire, glauque et inspirée des Liaisons dangereuses. Joanne Richoux a instillé ce truc inimitable que je n’ai vu nulle part ailleurs, cette chose qui a rendu ce roman si prenant, si addictif, si puissant. Lu de 1h à 3h du matin, d’une traite, sans discontinuer, je n’ai jamais eu autant envie de savoir la fin tout en sachant qu’elle serait furieuse, déton(n)ante. Un roman qui oscille entre thriller et comédie noire et qui offre une vision sombre et glaçante de l’adolescence.

9 commentaires sur “Les Collisions de Joanne Richoux, coup de coeur

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  1. Quelle belle chronique ! Je suis mitigée sur cette lecture que je viens de terminer, mais les mots que tu mets dessus m’offre à voir certaines choses différemment ^^

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