Binti de Nnedi Okorafor

Ce recueil de novellas m’a été envoyé par les éditions ActuSF au titre d’un service de presse. Il fait partie de ma semaine « Okorafor », avec la lecture d’un recueil de nouvelles Nabu Nabu chez le même éditeur et Akata Witch à l’école des loisirs. J’ai par ailleurs découvert la plume de l’autrice avec Qui a peur de la mort ? qui avait été un gros coup de coeur et dont vous pouvez retrouver la chronique par ici.

Résumé éditeur

Maîtresse harmonisatrice du peuple Himba, Binti est vouée à reprendre la boutique d’astrolabes de son père… Mais l’incroyable don pour les mathématiques de l’adolescente lui ouvre les portes de la prestigieuse université interplanétaire Oomza.
Binti embarque sur le Troisième Poisson à l’insu de sa famille. Mais au cours du trajet, les Méduses, ennemies millénaires des humains, abordent le vaisseau pour en massacrer les passagers. Commence alors pour Binti un combat pour sa survie et celle de ceux qui lui sont chers.

Mon avis

Il est très compliqué de déterminer à quoi nous avons à faire dans cet ouvrage qui est présenté comme un tome 1 par les éditions ActuSF. Découpé en trois parties, « Binti », « Binti : feu sacré » et « Binti : le retour », chacune d’entre elle offre un début et une fin mais elles ne peuvent absolument pas se lire indépendamment. J’ai tenté d’en retrouver la trace sur internet mais les avis des autres blogueurs quant à sa construction sont tout aussi flous. Je pars donc du principe qu’il s’agit de trois novellas mettant en scène la même protagoniste à différentes étapes de sa vie.

En dehors de ce « flou », le roman de Nnedi Okorafor est remarquable. Ancré dans le courant de l’afrofuturisme, il donne à voir une société éclectique, un space opera de grande ampleur et un traitement saisissant de la question des préjugés, du traumatisme et du racisme. Issue du peuple Himba, très isolationniste et ayant pour coutume de s’enduire le corps et les cheveux d’otjize, Binti est une maîtresse harmonisatrice. Capable, à l’aide d’équations mathématiques complexes, d’harmoniser, elle entre dans une sorte de transe qui lui permet de calmer ses émotions et celles d’autrui, mais également de comprendre des objets complexes. Héritière de son père, elle est destinée à un grand rôle au sein de sa communauté. D’un autre côté, l’école d’Oomza lui offre une bourse afin d’étudier à leurs côtés ce qui la passionne. Contre l’avis de sa famille, les habitudes de son peuple, elle choisit de partir. Une trahison qu’elle commet envers les Himba, eux qui refusent de quitter leur terre. C’est ainsi qu’elle embarque à bord du Troisième Poisson, genre de vaisseau extraterrestre vivant, qui est censé la conduire vers ses rêves. Dès le départ, et avant les Méduses, son voyage n’est pas de tout repos. Elle croise beaucoup de Khoush, pour qui sa peau couverte de terre rouge (l’otjize) est synonyme de sauvagerie, de boue, d’infériorité. L’autrice écrit avec justesse les injustices que subit son personnage, à ce moment de l’histoire, ou bien après, au sein même de son propre peuple.

Lorsque les Méduses attaquent le vaisseau sur lequel elle voyage, tuant l’ensemble de l’équipage, elle ne doit sa survie qu’à son edan. Un objet étoilé qu’elle ne comprend pas très bien mais qui lui permet de comprendre l’ennemi…et de se faire comprendre. Armé de cette étoile étrange mais bienvenue, Binti entame les négociations. Pour sa survie. Pour la paix entre les espèces. Le traitement de ces scènes peut sembler un peu étrange, distant, mais par la suite, l’autrice développe tout le traumatisme qu’elle a subit et que personne n’arrive à comprendre : flash back de cette poitrine qui explose sous ses yeux, de la relation amicale qu’elle entretient avec Okwu, une Méduse, et la mélancolie de son pays, aussi, sans se sentir pour autant y appartenir tout à fait. Etrangère dans tous les recoins du monde.

« Vous voyez, il arrive quelque chose à une fille de la terre quand elle quitte la planète qui l’a vue naître. Comme une mort, suivie d’une renaissance très violente… Mais il faut d’abord arpenter ce nouveau monde tel un fantôme. J’étais un fantôme à Oomza. Déportée, mais tout de même là où je devais me trouver. L’endroit où je voulais être. »

Petit à petit, le personnage de Binti grandit, apprend, et gagne en force et en caractère. Une fois passée l’impression des répétitions, sans doute normale due à l’addition de l’ensemble des novellas, du manichéisme, ou encore de la facilité de certaines actions, on se prend d’affection et de tendresse pour cette adolescente qui n’a sa place nulle part…et partout à la fois.

« Mon feu sacré sera ce désert, ai-je pensé. Il ne s’arrête jamais de brûler, même la nuit le sable est chaud sous la surface. Je peux toujours venir ici quand j’en ai besoin. Et ma communauté sera mes amis. Qui d’autre viendrait dans le désert avec moi ? C’est de l’amour ».

On appréhende aussi le peuple des Méduses d’une drôle de manière, à travers Okwu, d’abord ennemi, puis ami, on hésite, on ne l’aime pas tout à fait mais on l’accepte pour ce qu’il est : une race différente, non moins sentimentale, non moins réfléchie, non moins complexe. Il y a un beau message que Nnedi Okorafor souhaite transmettre : l’acceptation de l’autre, dans toute sa différence. A travers les Méduses, les Khoush et les autres créatures humanoïdes (ou non) qui peuplent le récit c’est la diversité du monde qu’elle nous offre. Diversité des peaux, des coutumes, des sentiments, des envies. Tout comme  Binti doit réviser ses préjugés sur les Khoush et les « gens du désert », ce peuple que le sien déteste et qu’elle méprise aussi en partie, on est amené à prendre conscience de nos propres limites, nos propres à priori.

Enfin, et ce n’est pas rien, la plume de l’autrice est riche mais fluide. Elle apporte avec une certaine poésie et un réalisme saisissant les traditions du peuple Himba de Namibie et donne envie de se plonger dans les histoires de Mascarades et leur mythologie. Sans chercher à provoquer, elle propose une lecture fictionnelle et contemporaine des maux de notre siècle, sans hypocrisie et sans pathos, faisant de la science-fiction un remarquable pont entre nous et les autres.

En résumé

Chacune des parties de Binti ouvre un champ différent mais toutes traitent de l’acceptation, de l’autre, de l’identité, du traumatisme, des préjugés et des normes sociales. Avec des personnages extravagants, une héroïne forte, indépendante mais aussi vulnérable, et tout ce qui constitue le terreau africain dans lequel elle a puisé son imagination (la Namibie, les mascarades, les rites et mythes Himba, etc.), Nnedi Okorafor signe un recueil de novellas puissant et brillant dans le sillon de l’afrofuturisme.

Une chouette chronique, beaucoup plus détaillée, par ici : Les Chroniques du Chroniqueur

6 commentaires sur “Binti de Nnedi Okorafor

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