Akata Witch de Nnedi Okorafor

Je continue ma #semaineokorafor avec la lecture de Akata Witch, un roman assez court mais dense, et qui fait une excursion solide dans le fantastique. Retrouvez ici, ma chronique sur Qui a peur de la mort ? un coup de cœur en heroïc fantasy avec une héroïne forte et indépendante, et celle sur Binti, un recueil de novellas de space opera avec une héroïne qui s’affranchit de sa société pour vivre comme elle l’entend. J’en profite pour saluer le talent de l’autrice pour s’adresser à des publics divers, adultes pour son premier roman traduit, young adult pour Binti et plutôt jeunesse pour Akata Witch. Cela témoigne pour moi d’une capacité d’adaptation remarquable.

Résumé éditeur

Mon nom est Sunny Nwazue et je perturbe les gens. Je suis Nigériane de sang, Américaine de naissance et albinos de peau. Être albinos fait du soleil mon ennemi. C’est pour ça que je n’ai jamais pu jouer au foot, alors que je suis douée. Je ne pouvais le faire que la nuit. Bien sûr, tout ça, c’était avant cette fameuse après-midi avec Chichi et Orlu, quand tout a changé. Maintenant que je regarde en arrière, je vois bien qu’il y avait eu des signes avant-coureurs. Rien n’aurait pourtant pu me préparer à ma véritable nature de Léopard. Être un Léopard, c’est posséder d’immenses pouvoirs. Si j’avais su en les acceptant qu’il me faudrait sauver le monde, j’y aurais peut-être réfléchi à deux fois. Mais, ce que j’ignorais alors, c’est que je ne pouvais pas empêcher mon destin de s’accomplir.

Mon avis

Si j’ai préféré Akata Witch à Binti c’est uniquement à cause de la narration qui est beaucoup plus fluide, a contrario de l’accumulation de novellas qui avait rendu le recueil plus erratique, et plus répétitif. En dehors de cela, les deux œuvres sont très différentes, même si elles se raccrochent à des racines communes : l’Afrique, le Nigéria ici, la Namibie pour l’autre. En présentant des peuples différents, l’autrice s’attache à nous montrer les diversités et les ressemblances qui s’opèrent entre les traditions et les légendes africaines. Ainsi on retrouve avec délectation les mascarades qu’elle avait déjà évoquées dans Binti à un degré très différent ici, avec davantage de tangibilité.

En effet, Akata Witch déploie un univers fantastique et fascinant dans lequel on plonge aux cotés de Sunny, une jeune nigérianne albinos, revenue des Etats Unis à l’âge de neuf ans. Là encore, la question de l’identité, des racines, liées à la couleur de peau, et au parcours de ses personnages semblent préoccuper l’autrice, elle-même d’origine nigériane mais ayant grandi et vécu aux Etats Unis. Il n’est pas difficile d’imaginer que les paysages que l’on découvre à travers les yeux de la jeune adolescente se confondent avec ceux qu’elles visitaient durant ses étés nigérians. C’est sans doute ce qui lui rend tout ce réalisme, cette grâce et cette affection presque tendre que l’on sent pointer à quelques endroits, et que l’on ressentait également dans Qui a peur de la mort ?. Des mots igbos apparaissent à divers moments du récit ainsi que des images que l’on imagine typiquement africaines : le bus bondé (le funky train), des matchs de foot pieds nus ou en simples sandales, le mépris des femmes reflet de notre misogynie occidentale, ou encore les mascarades, le juju et les masques africains. Si je commence par vous parler de l’univers avant même de vous donner quelques clés de l’intrigue, c’est parce que celui-ci m’a réellement plu et transportée dans un autre monde. A la fois proche du nôtre et pas tout à fait. Un pas de côté bienvenu dans l’imaginaire et qui nous permet d’aborder le Nigéria par ses légendes, traditions et mythes. On retrouve avec délice des petits airs de Black Panther, dont l’autrice a scénarisé un comics, et des sujets qui sont propres à Nnedi Okorafor à travers un personnage féminin vulnérable par la position mais immense par le courage, la détermination, la bravoure.

« Elle s’était souvent demandé comment elle réagirait si elle se trouvait en danger de mort. Si, menacée par une arme à feu sur une route isolée lors d’un braquage de voiture, elle serait capable de regarder le voleur dans les yeux et de négocier pour garder la vie sauve. Ou si, voyant un enfant se noyer dans une rivière déchaînée, elle sauterait pour se porter à son secours. Elle avait désormais sa réponse. »

Sunny. Un personnage étrange, peut-être trop mature pour l’âge que lui prête l’autrice, douze ans, (ou bien est-ce nous qui nous figurons que les enfants ne le sont pas ?) rejetée, par son père pour ne pas être un garçon ou au moins une jolie fille, par ses camarades pour être blanche et intelligente, et enfin par elle même pour ne pas être comme les autres. Ce récit c’est le sien. Un récit d’apprentissage, de combat, de chute et d’amitiés qui se mélange avec brio à la magie et à la mtyhologie nigériane. Parce que Sunny n’est pas n’importe qui. Descendante de Léopards, ces hommes et femmes capables de pouvoirs surprenants et de se connecter à leurs Esprits, elle a eu une vision qui a changé sa vie à jamais : celle de la fin du monde. Et alors que Black Hat fait des ravages auprès des enfants, les uns égorgés, les autres énuclés, sans parler de ceux qui n’ont pas été retrouvés, elle se découvre un destin et une famille.

D’abord Orlu, un ami qui la défend, la retient et lui enseigne le goût du silence, du devoir et de l’humilité. Ensuite Chichis et son exubérance, elle qui ne possède que sa mère, qui vit dans une hutte, ne s’habille comme personne d’autre et n’a pas sa langue dans sa poche. Puis Sacha, venu comme elle des Etats Unis, avec sa rage, son ambition et sa puissance. Un quatuor tout feu tout flamme qui devra bien s’entraider pour sauver le monde, les adultes et tout ce qui va avec, à commencer par leur vie. Ce que j’ai aimé dans cette histoire c’est que chacun d’entre eux aient une histoire, des envies, des faiblesses. Sunny jalouse la spontanéité de Chichis, Orlu le courage de Sacha. Les uns ont déjà des mentors tandis que les autres doivent les chercher. Et ils ont leurs manies aussi, leurs petits défauts qui les rendent beaucoup plus humains, plus profonds.

Bien sûr celle qui reste au centre de tout c’est Sunny. Sunny dont l’Esprit ressemble à un Soleil, dont la peau blanche peut lui permettre d’être invisible et de voyager entre les plaines sauvages et la réalité, dont les chittims, ces pièces cuivrées qui semblent récompenser l’apprentissage et la connaissance de soi, tombent par dizaines à ses pieds comme jamais auparavant et qui est capable de maîtriser le juju, la magie. Et qui a un formidable jeu de jambes au foot ! Première fois que j’apprécie ce sport avec une fille aussi douée, mais aussi humble et humaine. Attention, elle n’est pas du tout surhumaine, au contraire. Elle pleure, elle s’apitoie sur son sort, elle prend peur, s’agace, fait des bêtises, mais elle est aussi forte, indépendante, et elle pose un regard franc sur le monde.

« Sa capacité à ne pas me voir était impressionnante. Je restais juste là, à patienter, un grand sourire aux lèvres. Quand enfin il jetait un coup d’oeil en biais et qu’il m’apercevait, il sautait presque au plafond.
– Idiote, idiote de fille ! sifflait-il entre ses dents.
Parce que je l’avais vraiment effrayé. Et parce qu’il voulait me blesser, car il savait que je savais qu’il avait eu peur. Parfois je détestais mon père. Parfois, je sentais que c’était lui qui me détestait. Je ne pouvait pas lutter contre le fait que je n’étais pas le fils qu’il aurait voulu avoir ni la jolie fille qu’il aurait pu éventuellement tolérer. »

En quête de Black Hat et de leurs propres pouvoirs et limites, les quatre amis ne sont pas au bout de leur peine. J’ai également beaucoup apprécié les passages du Petit précis pour agents libres, un petit livre dont Sunny fera l’acquisition à un moment du récit mais qui nous donne des clés de compréhension du monde des Léopards. C’est la première fois que je vois une autrice insérer des pages d’un livre et le critiquer ensuite. En effet celui-ci se veut ouvertement raciste et méprisant envers les agents libres comme Sunny, ces Léopards qui n’en ont pas reçu l’éducation et dont les dons ont sauté une ou plusieurs générations.

La trame quand à elle assez classique (des héros, un méchant, un destin), n’empêche pas Nnedi Okorafor de déployer un univers complexe, une magie intéressante et des personnages profondément humains. C’est sans doute, d’ailleurs, ce qui fait le talent de cette autrice remarquable : construire des univers forts, puissants, des influences nigérianes dans la plume, mais ne jamais nous perdre, nous guider sur les sentiers bien connus du fantastique, de l’héroic fantasy ou du space opera. Autre talent certain, celui de mêler les quêtes identitaires, les questions de racisme et les relations humaines pour éclairer les enjeux contemporains par le biais de l’imaginaire et la fiction.

En résumé

Avec les influences nigérianes qui sont sa marque de fabrique, Nnedi Okorafor nous entraîne dans un roman fantastique de haute volée à destination des adolescents. Bien que la trame soit classique, on plonge avec délice dans l’univers Nigérian imaginé par l’autrice, aux côtés de Sunny, Orlu, Sacha et Chichis. Au programme : des Mascarades, des combats, des crises identitaires, des pleurs, des rires, et la joie sauvage de n’appartenir qu’à soi et de changer le cours des choses. Un coup de cœur pour ce roman qui dépayse, aux contact des mythes igbos et des histoires de juju.

La critique des Confidences de Julie par ici.

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