Inséparables, coup de coeur

Inséparables est un roman de Sarah Crossan qui a connu un véritable succès outre atlantique. Arrivé en France aux éditions Rageot et sous la traduction de Clémentine Beauvais, il a littéralement conquis le coeur des français et des françaises. Merci à @mesécritsdunjour pour la découverte !

Mon résumé

Tippi et Grace, le noms des plus grandes stars d’Hitchcock Tippi Hedren et Grace Kelly. Deux sœurs. Inséparables pour ainsi dire depuis leur naissance, leur corps ne formant qu’un au niveau des hanches, deux jambes pour deux, quatre bras. Siamoises.
Le lycée approche et avec lui son lot d’histoires et de moqueries. Leurs parents ne peuvent plus leur faire cours à la maison, faute de moyens, il n’y a qu’une seule solution : affronter la foule, se savoir monstre dans la cours des anges, et braver les tempêtes. Et surtout, ne jamais tomber amoureuse. Parce qu’un garçon ne pourra jamais les séparer…et ce n’est pas une promesse en l’air.

Mon avis

Le style : entre poésie et poignard

Contrairement à d’habitude je vais sans doute commencer par le style, et la phrase, parce que c’est réellement ce qui m’a surprise dès le départ. Sa prose est découpée en vers. N’allez pas vous imaginer les alexandrins, rimes et autres fioritures du dernier siècle mais plutôt une prose élégamment posée, distribuée sur la page en des vers libres de différentes longueurs, qui la coupent, la décortiquent, l’encensent, la font tantôt poésie, tantôt poignard. Cette manière originale d’écrire participe beaucoup à mon coup de coeur puisque c’est aussi une chose que j’ai tendance à faire dans mes proses. Ma lecture était fluide, lisse, parfaite. Ce procédé d’écriture a rendu d’ailleurs l’identification très forte, et très rapide. Presque complice.

« Des pêcheurs en bottes de caoutchouc sur les rochers,
enveloppés par l’Atlantique,
pataugent, l’océan comme
un bouillon furieux autour d’eux,
et quand ils en ressortent,
trimballant des seaux pleins de monstres marins,
une épée de lumière tranche le matin en deux.

Le ciel rougit, se dévête de son obscurité.
Il pousse à l’horizon une frange rose.

« Le soleil se lève, dit Tippi
ça me donne envie de croire en Dieu.
« Moi aussi » dit Yasmeen.

Et plus personne ne dit rien d’autre
jusqu’à ce que, sous le soleil mandarine,
nos culs s’engourdissent
d’être depuis si longtemps assis ».

Des sœurs siamoises : deux personnalités, une seule entité

Et pourtant, comment se sentir parfaitement en accord avec ces deux sœurs ? Ce corps siamois que l’on ne comprendra jamais même si j’ai rêvé hier soir ne plus sentir ma jambe droite et n’être qu’une partie d’un tout ? Cette particularité qui fait aussi leur personnalité, empêche le lecteur d’être tout à fait à leur place. C’est un peu comme si nous étions les lycéens qui les regardons évoluer dans la cafétéria mais en ayant accès à toutes leurs pensées, il y a sans doute quelque chose de la honte dans cette lecture. Parce que je ne peux absolument pas dire que si j’avais été dans le cas de ces lycéens, je n’aurais pas regardé. Que je n’aurais pas eu pitié. Que je n’aurais pas eu la bouche faisant des ronds de surprise. Alors, certes, je ne les aurais pas insultées, ni mal-traitées parce que ce n’est pas dans ma nature, mais qui peut réellement savoir à partir de quel moment la stigmatisation commence t-elle. N’est ce pas à partir du moment où nous considérons l’autre comme viscéralement différent de nous ? Une partie de mon coup de coeur vient aussi de là : de ma propre remise en question et de la réflexion qui en découle.

« On sait jamais,
ça vous plaira peut-être, nous dit-elle.
Les gens sont pas tous cons. »
[…]
« Non, t’as raison,
les gens sont pas tous cons,
dit Tippi.
Mais quand nous deux on est dans le coin,
ils ont tendance à le devenir ».

Du début à la fin nous sommes dans la tête de Grace, pourquoi Grace plutôt que Tippi ? Ou même pourquoi pas le point de vue de Dragon leur petite sœur ? Ou celui de Grammie, la grand-mère ? Peut-être pour ne pas perdre le lecteur. Peut-être pour provoquer un attachement direct. Ou peut-être tout simplement parce que Grace est la seule des sœurs qui ne se confie pas au psychologue, qui garde ses pensées pour elle, qui est la plus effacée des deux. Ce qui la rend aussi plus observatrice et plus affamée de vie. Tippi est plus dynamique, plus forte, excentrique, elle sera la première à vouloir tester la cigarette, goûter l’alcool. Deux personnalités différentes mais un amour unique et profond, comme sans doute vous et moi ne vivront jamais.

« Vous savez,
j’ai passé tellement
de temps à tenter de convaincre tout le monde
que je suis un individu
que Tippi est ma jumelle,
mais qu’elle n’est pas moi,
que je n’ai jamais réellement pensé à ce qui
se passerait si
on n’était pas ensemble,
à cette
perte d’elle qui serait comme
s’allonger dans un bûcher,
et attendre les flammes.

Elle n’est pas un morceau de moi.

Elle est moi totalement
et sans elle
il s’ouvrirait
un dévorant espace
dans ma poitrine,
un trou noir en expansion
que rien d’autre
ne pourrait
combler.

Vous voyez ?

Rien ne pourrait combler ce vide. »

L’arrivée dans ce lycée privé, ne les change en rien et ça je trouve ça extraordinaire. Et elles y rencontrent des amis Yasmeen et Jon, des outsiders comme elles, la première atteinte du VIH le second méprisé pour avoir eu sa place grâce à une bourse. Malheureusement c’est à la maison que la situation se dégrade : Dragon se rend de plus en plus compte qu’elle n’arrive pas évoluer dans l’ombre de ces sœurs siamoises qu’elle adore mais qui prennent beaucoup de place dans le coeur familial, leur père a perdu son job et noie son chagrin et son désespoir dans l’alcool sans se rendre compte qu’il perd aussi petit à petit sa famille, et leur mère multiplie les heures supplémentaires pour continuer à payer les frais médicaux des deux sœurs.

Pourtant elles le savent bien. Pour tout remettre à flot. Il y a une solution. Devenir un produit de télé-réalité… mais n’est-ce pas aussi s’avilir ? Perdre sa dignité ? Mais quand elles commencent à sentir leur corps s’affaiblir, réclamer des soins plus importants que leur argent ne peut pas leur donner, que reste t-il à faire ?
Ce qui me frappe le plus c’est leur fierté d’être ce qu’elles sont envers et contre tout, leur fierté et leur force.

« Les gens nous trouvent grotesques,
surtout de loin,
quand ils nous voient comme un seul être
ces deux corps distincts
qui se confondent,
tout à coup,
à la taille.

Mais si on nous prenait en photo, juste tête et épaules,
à partir de ces portraits,
la seule chose que les genres remarqueraient, ce serait qu’on est jumelles.
l’une – moi – les cheveux mi-longs,
l’autre – Tippi – un peu plus courts,
le nez retroussé toutes les deux,
sourcils exactement circonflexes.

C’est vrai qu’on est différentes.

Mais moches ?

Allez.

Me faites pas rigoler. »

Les personnages secondaires : la trame de fond essentielle au récit

Ce que j’ai particulièrement apprécié dans ce roman c’est la profondeur des personnages secondaires. Et pourtant ils apparaissent peu dans le texte. Même si on comprend vite que l’intrigue se concentre sur nos deux siamoises, il est de suite évident que leur déformation physique impacte l’ensemble de la famille ; et il aurait été particulièrement dommage de ne pas en avoir un aperçu. Le personnage de Dragon m’a particulièrement touchée : n’hésitant pas à soutenir ses sœurs coûte que coûte, elle n’en développe pas moins un complexe exacerbé d’attention et d’identité, qui est-elle en dehors de « la sœur des siamoises » ? Quelle est sa place dans cette famille alors que pour elle « tout va bien ». Concentré sur le point de vue de Grace, on est aussi aveugle qu’elle aux changements qui s’opèrent chez sa jeune sœur.

« Elle a de la chance d’être complètement normale.

Quoique

je me dis qu’être notre sœur
ça doit être nul parfois,

qu’être notre sœur, si ça se trouve,
ça fait d’elle aussi
un monstre. »

Le mot de la fin

C’est mon plus gros coup de coeur de cette Pàl qu’il vient d’ailleurs clôturer.
Cet amour m’a complètement bouleversée et en refermant ce livre je pleurais. Parce que j’avais lu quelque chose de beau, de fort, et d’incroyablement juste.

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