Cette nuit-là de Aurélie Massé

Cette nuit-là j’en entends parler depuis un moment déjà. D’une part, parce que faisant partie du Book Club des éditions Slalom, j’ai la chance de pouvoir avoir accès aux livres en avance, mais également de pouvoir discuter avec plus d’une soixantaine de blogueuses / blogueurs et les auteurs et autrices. Cette nuit-là est sortie en septembre 2021. Nous sommes en janvier. Autrement dit j’ai mis un temps fou à le lire, non pas parce qu’il ne me faisait pas envie, non pas parce que les avis que j’en entendais étaient négatifs, mais parce qu’il me faisait peur. Peur d’être trop retournée, peur de revivre certaines choses. Parce que je dois vous dire qu’il y a un gros TW pour viol, violence sexuelle, abus, et inceste. Mais ce roman c’est aussi plus que cela, et maintenant que je l’ai lu je peux aussi vous en parler.

Résumé éditeur

C’est l’histoire de Gabriel, l’insoumis pétillant, Agathe, la fêtarde insouciante, Alex, l’élève parfait, Sarah, la discrète mal dans sa peau. C’est aussi et surtout l’histoire d’Eden, dont l’aura suffit à combler le mutisme. C’est l’histoire d’un secret, de gestes déplacés qui mènent un jour à l’inconcevable… Durant une nuit, le temps s’arrête et cinq vies basculent.

Mon avis

Cette nuit-là c’est l’histoire d’une journée et d’une nuit d’hiver. L’histoire d’un drame qui va bouleverser la vie de cinq adolescents. L’histoire d’une amitié, profonde, tendre, qui va les aider à se relever. Ce n’était pas une lecture facile, et tant mieux, parce que ce ne sont pas des sujets qui le sont. Mais ce fut une lecture belle et bouleversante, servie par une plume magnifique et finement ciselée, plusieurs fois j’y ai vu les assonances et les métaphores de Joanne Richoux (et vous savez mon amour pour sa plume) qui me font dire que cette autrice ira loin et saura me toucher de plus en plus.

Le roman s’ouvre sur un prologue haletant. Etoile sur une vitre, mains en sang, un garçon dans l’hiver. Avant de basculer une journée plus tôt, le lycée, la routine. On y fait la connaissance de cinq personnages. Gabriel surnommé Jav’, l’épaule conciliante, est un personnage coup de coeur. Il m’a fait penser à plusieurs de mes amis, j’avais envie de me laisser enlacer par lui, d’écouter sa voix sortir de sa poitrine comme on écouterait le ronron d’un chat, rassurant. Toujours seul chez lui, il est un peu perdu, mais il reste un roc, un pilier pour ses amis, notamment Eden qu’il accueille régulièrement chez lui. Ensuite il y a Agathe, la nana pile électrique, toujours en train de secouer ses amis, d’essayer de comprendre, maladroitement souvent, désespérément amoureuse d’Eden et de ses cheveux roux, mais joliment, sans brusquerie. En secret, elle verse quelques centilitres d’alcool dans sa gourde pour flamber, pour faire la belle, pour se sentir désirable et forte. Après nous faisons la connaissance d’Alex, un personnage assez effacé d’enfant modèle, parfait, à qui tout réussit, mais surtout à qui tout doit réussir, ayant pour modèle deux parents médecins et un père intransigeant. Alors même à la cantine, il ramène ses cours sous pochettes plastique pour éviter que Jav’ y balance de la sauce tomate, mais à l’intérieur ça bouillonne, un volcan qui gronde. Semblable à Alex, mais différente aussi, nous avons Sarah. Sarah la danseuse, la ballerine, au corps si léger qu’il pourrait s’envoler, qu’elle flotte de couloirs en couloirs. Il faut dire que Sarah ne mange pas, la plus petite bouchée de nourriture est une torture entre l’envie irrépressible et le dégoût. Et ce garçon qui ne la regarde pas. En silence ses amis tentent de l’aider. De la pousser. Agathe se documente à la bibliothèque sur l’anorexie et les troubles alimentaires. Jav’ lui garde toujours une pomme, un morceau de pain, au cas où. Déjà, là, on comprend qu’une amitié profonde les lie, fondée sur la confiance, la tendresse. Et puis il y a Eden. C’est un peu plus son histoire que celle des autres, mais c’est aussi son histoire à travers le regard des autres où il apparaît tantôt beau, mélancolique, fragile, triste. Un rien pourrait le casser Eden. Surtout les gestes d’un autre garçon qui le caressent, le touchent, sans qu’il ne puisse rien dire.

« Je sens alors une larme claquer sur mon cou et suivre le contour de ma clavicule. Puis une autre, et encore une autre. Ça se faufile sous mon pull et roule sur ma peau nue comme des billes dures et glacées. Et moi, j’ai la sensation d’avaler des épingles à nourrice ouvertes. Ça me fait cet effet, les larmes d’Eden sur moi. Ça pique, ça mord, ça perce partout. Je resserre mes bras autour de son dos. Je t’entoure Eden, je suis là »

Un soir, il y a les gestes de trop, l’irréparable. Non non non non non. Voilà ce qu’il y a dans la tête d’Eden. Un non non non non qui me déchire les entrailles rien que de les écrire. Soyez prêt, et soyez prête. Parce que vous le serez aussi, déchirée, anesthésiée, comme traversant un bruit blanc. Une nuit d’hiver glaciale où les cris brisent la nuit, où le froid engourdit les bras, les jambes, les mains. Et où la stupeur ne laisse pas de place aux larmes, pas encore. D’abord il y aura la violence, l’angoisse, du sang. Un frigo vidé. Une chanson chantée au téléphone. Un appel pour dénoncer qui laissera des sanglots et fera éclater une vérité, un secret caché depuis près de dix ans. Et peut-être même qu’il fera éclater tous les autres un à un, la solitude, la colère, l’anorexie, l’alcool. Un à un. Tous les cinq dans cette grande maison ils se soutiendront, s’enlaceront, il faudra faire face, mais aussi ne faire qu’un. Dire à l’autre que peu importe ce qu’il a subi, il reste le même. Que ce n’est pas de sa faute. Qu’il n’a rien fait de mal. Il faudra lui dire « on est là », « on te protégera », « tu peux le faire », « ne baisse pas les bras ». Aurélie Massé n’épargne rien ni personne et surtout pas le coeur de ses lecteurs.

« Et je pense à toutes ces guerres intimes que les gens mènent dans le secret de leurs murs. Je pense à ce qu’ils dissimulent dans la douleur ou la menace, à ce qu’ils espèrent et à ce qu’ils perdent. Je me dis que si Eden se relève d’une telle épreuve, je peux bien dire merde à mon père ».

Il y a des scènes qui restent gravées. Celle où Jav’ annonce à Sarah qu’Agathe fait des recherches à la bibliothèque et qu’elle en reste abasourdie, choquée que son amie fasse cela pour elle. Celle où Alex offre à Eden un dessin de son château écossais et que celui-ci en tremble, les yeux « aussi satinés que des coquilles de noix mouillées ».

Vous voyez, bizarrement on ne retient pas le drame, on retient la force de cette amitié qui balaye tout. Ce sont des scènes sincères, qui donnent envie de renouer des liens avec les amis oubliés, comme pour se soutenir à travers le temps et l’espace. C’est un roman, oui, mais qui m’a émue aux larmes, et qui n’est donc pas juste cela.

En résumé

Cette nuit-là nous raconte l’histoire d’un drame, celui d’un viol, qui touche un garçon. C’est une histoire où il y a du sang, de la violence, des larmes, des sanglots arrachés. Pourtant, ce n’est pas ce que je retiens de ce roman, pas seulement. Parce qu’au-delà de la tragédie, il y a une solide histoire d’amitiés entre cinq personnages, cinq amis, tous bien différents avec leurs propres angoisses et leurs peurs. Cinq amis qui se rassemblent, qui font front, et se relèvent petit à petit, parce qu’ils sont ensemble, parce que c’est une amitié forte et tendre. Une journée et une nuit d’hiver où la vie bascule. Une nuit d’hiver dans laquelle j’ai été entraînée. Dans laquelle j’ai pleuré et souri à travers mes larmes. Un premier roman bouleversant écrit d’une plume ciselée, belle et puissante, qui écrira sans nul doute, d’autres romans durs et poignants.

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