Et derrière nous le silence de Nancy Guilbert

Nancy Guilbert, la première fois que j’ai entendu ce nom c’était pour le roman Point de fuite co-écrit avec Marie Colot. J’avais déjà retenté l’expérience avec Marie et j’avais lu Des mots en fleurs : poésie, jardin, herboristerie de mots et de verbes en tous genres. C’était beau et un peu naïf, un petit livre pour ramener de la lumière. Et derrière nous le silence n’est pas beau, ni naïf. Il a quelque chose de terrible, de monstrueux en son sein. Mais il fait exploser les silences et il guérit aussi. Je tente ici, d’en faire une chronique.

Mon résumé

Il y a Ellie qui court à s’en brûler les poumons. Jeff qui pousse un être cher dans le vide. Yüna qui étouffe dans sa prison paternelle. Trois être brisés par la vie, l’inhumanité, les silences. Trois êtres qui ne se connaissent pas mais qui partagent ces failles qui laissent passer la lumière. Il suffit d’un rien pour basculer, tout comme parfois la chute est longue, tout comme parfois la chute est brève. Au bord du chaos, du vide et l’innommable, ces trois adolescents pourront-ils être entendus ?

Mon avis

Évidemment les mots choisis du résumé laissaient déjà entendre le pire : harcèlement, manipulation, prédateur, tortionnaire, prisonnière. Je m’attendais donc à cela, au pire et je crois qu’en ce sens, Nancy Guilbert fait preuve de suffisamment de pudeur pour que ce ne soit pas le cas, tout du moins pas dans un premier temps. Bien sûr il y a des silences qui parfois nous ont habité, nous habitent et nous habiteront encore, des silences que la voix de ces trois adolescent.e.s fait exploser dans nos cœurs et nos tripes. A l’instar de Point de fuite, il nous permet de « vivre », « d’expérimenter », ce que vivent les personnages et en cela il transforme les faits divers, les chiffres, et les « ouïes dire », par autre chose, par des êtres qui pourraient être des amis, des êtres qu’on aurait envie de prendre dans nos bras en leur disant « chut, tout va bien, il y a encore du bon en ce monde, tout ne se résume pas qu’à cela ».

Mais peut-être n’est ce pas par là que je devrais commencer. Commençons par les personnages. Ellie est une jeune adolescente qui fait son entrée au lycée avec sa cousine, Lola, moins fortunée qu’elle mais plus pétillante, un vrai soleil. Toute tournée vers elle, la jeune femme semble se déliter dans sa cousine à mesure que celle-ci prend de la place. A mesure qu’elle lui pique ses affaires. A mesure qu’elle imite sa coupe de cheveux. Ce qui devait être une amitié solide, presqu’une sororité, devient vite quelque chose d’étouffant à laquelle Ellie a l’impression de ne pouvoir échapper ni dans le regard de sa mère, ni dans le regard de ses camarades de classe. A ses points de vue, succèdent des « carnets de nature », décrivant le comportement d’une espèce animale. De petits avertissements lancés au lecteur et qui tendent à vouloir dire qu’Ellie est parfaitement consciente de ce qui lui arrive mais n’arrête pas à s’en défaire.

Jeff, lui, s’est lancé à l’assaut d’un sentier serpentant dans les montagnes, à l’assaut des hauteurs, à l’assaut de l’endurance et de cette décision qu’il a prise trois mois plus tôt, qui l’a conduit tout droit vers cette sortie. Une randonnée paisible, de chouettes paysages, le rire de son frère, le tout hanté par le souvenir de Lou. Lou qu’il a aimée éperdument. Lou brisée. Lou détruite. Jeff est là pour assouvir sa vengeance, avec préméditation, avec détermination. Ce crime ne restera pas impuni. Jamais. Pourtant Jeff n’a jamais été ce genre de personne, n’a jamais été violent, n’a jamais eu de désir aussi sauvage et aussi « juste » que celui-ci. Non, Jeff n’est pas un tueur, mais il est prêt à le devenir.

Yüna, elle, n’a pas choisi son père. Si elle avait pu choisir elle l’aurait pris doux, attentionné, tendre, du genre à lire des histoires le soir avant de se coucher, à préparer des gratins de pâtes ou des crêpes, à nettoyer ses affaires, à prendre soin d’elle, de sa soeur, de sa mère. Bref à être tout ce qu’il n’est pas. Et certainement pas un père prêt à séquestrer ses filles dans une maison sans autre accès au monde que lui, lui qui accède à leur demande, lui qui lit leurs histoires, lui qui les enferme et les prive de nourriture dans une pièce conçue pour elles. Elles qu’il a séparées. Pourtant Yüna est une fille courageuse, elle ne le laissera pas gagner. Pas tant qu’elle sera en vie. Mais de l’autre côté de son mur la voix de Blanche est bien faible.

Ce sont les trois personnages que nous suivons. Les trois personnages de ce roman choral qui souffrent, hurlent en silence, se débattent avec les rumeurs, les mensonges, les faux sourires. Se débattent avec la société, ses hantises, ses troubles, ses sanctions immédiates. C’est fort parce que la tension monte crescendo, à l’instar de Cette Nuit-là d’Aurélie Massé, on ne voit pas les pages défiler. Vont-ils s’en sortir ? Vont-ils réussir à vivre enfin leur vie, sans plus être étouffé par la lourdeur des silences ? Et une fois le silence vaincu, comment se relèveront-ils ? Qu’est-ce qui les fera tenir debout, la tête haute ? C’est tout cela que nous dit ce roman et plus encore. Mais surtout il invite à éternellement se questionner sur ce qui fait les actes, les regards, l’absence de parole.

En résumé

Et derrière, nous le silence est un roman aux thématiques fortes, à commencer par la violence faite aux enfants, aux adolescents, qu’elle soit de l’intérieur, la famille, ou de l’extérieur, les amis. Un appel sensible et courageux à se lever, à faire front, à briser les silences qui brisent leurs rêves, leurs espoirs, leurs enfances. Un roman dur mais non moins grand qui répare, lui aussi.

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