Betty de Tiffany McDaniel

Comment parle t-on des romans comme toi ? Comment dois-je parler des livres qui résonnent si fort dans le creux de mon ventre, dans les fêlures de mes os ? Comment dois-je parler de tes héroïnes, de Betty, de tes lignes, des vies et des morts que tu as égrenées dans ma tête, semblable à un chant qui ne voulait pas se taire, qui m’agrippait les la gorge, larmoyait mes yeux. Partout ailleurs sur la toile, tous les chroniqueurs, toutes les chroniqueuses, tous les journalistes, tous les libraires, ont entendu ce chant que Tiffany McDaniel t’a insufflé. Parler de toi un peu plus ne fera de mal à personne mais déjà, les termes de chef d’œuvre, d’héroïne intemporelle, de roman enchanteur, semblent galvaudés, usés par tous ceux et toutes celles qui les ont employés de Paris à Sète et aux quatre coins du monde, pour parler de toi.

Ce qui est fou, aussi, c’est qu’il ne me semble pas être la seule à avoir envie de te parler, à croire que tu rentres dans nos têtes et dans nos doigts aussi facilement que tu rentres dans nos cœurs et dans nos tripes. Tout le long de ces 700 pages, tu nous habites, comme tu as habité Tiffany pendant près de dix-sept ans. M’habiteras-tu aussi longtemps ou ton souvenir se fera assez vague pour que je te redécouvre un jour comme pour la première fois ? J’ai repoussé ta lecture depuis ta sortie, je pressentais qu’après toi, le reste me semblerait un peu fade, les contours moins lumineux et pourtant l’âme plus grande. Je pressentais l’avant et l’après, mais je n’avais pas encore senti le pendant. Je ne savais pas que Betty allait me toucher au plus profond, que j’allais m’y attacher farouchement comme une louve, voulant l’éloigner des drames et des douleurs qui allaient bientôt la façonner et l’habiter. 700 pages pour parler d’une lignée amérindienne avec autant de magie et de légende que dans les romans d’imaginaire. 700 pages d’histoires de cailloux contre les démons, d’ailes en feuilles argentées, de citrons suspendus dans les branches, et d’arc-en-ciel étincelants. 700 pages à suivre une enfant qui, alors que son corps grandit, enterre tous les secrets de sa famille dans des bocaux pour pouvoir mieux ressortir leurs mots plus tard.

Il n’y a pas à dire je ne m’attendais pas à toi. Je ne m’attendais pas à serrer les poings de rage, je ne m’attendais pas à détourner le regard de douleur et à plonger mes yeux dans le ciel pour apercevoir des formes dans les nuages. Je ne m’attendais pas à imaginer tes paysages, ressentir tes blessures, m’approprier tes brûlures. A travers toi, j’ai connu beaucoup de choses. Certaines que je connaissais déjà, des maux qui refusent de guérir et auxquels tu as donné un baume étrange et odorant. D’autres que j’ai découvertes, entre légendes cherokee et le quotidien de la Petite Indienne. Au milieu de huit enfants il y avait de tout bien sûr, des colères, des disputes, des mots durs, des violences. Mais aussi une infinie tendresse, une étonnante complicité. Dans ce jardin du bout du monde où la malédiction semblait vouloir leur peau, tu as fait de tes personnages les symboles mouvant d’une génération entière, d’un XX brûlant de sexisme et de racisme, miroir opaque d’un XXIe qui peine à s’extraire du sable dans lequel les hommes le placent.

Oui dans tes pages il y avait des paysages de forêts immenses, de rivières et de châteaux d’eau. Il y avait des morts, des incidents tragiques, du sang sur tes lignes. Mais il y avait toujours Betty, et Lint, et tous leurs souvenirs. Les souvenirs de ce père extraordinaire qui jamais ne courba le dos. Les souvenirs de cette lignée cherokee qui enflaient dans chaque ligne, chaque histoire inventée et de toutes les femmes qui les avaient précédés, de leur pouvoir, de leur liberté, de tout ce qui avait été enlevé et de tout ce qui demeurait. Les souvenirs d’enfants perdus, de ceux qui se sont faits « fracasser au sol ». De ceux pour qui, parfois, j’ai posé ton corps de papier pour respirer, prendre une profonde inspiration, m’ancrer de nouveau dans une autre réalité. Plus lumineuse peut être.

Pourtant, non, je ne peux pas dire que tu ne sois fait que d’ombres. Bien au contraire. d’ailleurs ton autrice parle d’un éclat de lune, cet astre qui nous éclaire dans le noir, chasse les ombres, nettoie les blessures et à laquelle, parfois, on a adressé des prières muettes. En ton sein il y a la puissance des mots, leur réparation, leur dangerosité, leur réalité. Il y a la vie d’une petite indienne qui s’éloigne des carcans que la société et sa propre famille, parfois, veut lui imposer. Il y a la fulgurante beauté de cette relation père-fille qui émeut profondément, le pardon accordé à celles et ceux qui s’égarent. Il y a cette histoire de cœur de verre, ce petit oiseau qui attend de s’envoler, renfermant toutes les peines, toutes les fêlures mais aussi toutes les joies. Peut-être que tu as pénétré mon cœur de verre Betty, droit dans les bras d’un oiseau aux ailes trop petites. Peut être es-tu en train de déborder et peut être est-ce pour cela que je t’écris, pour te rendre un peu de ce que tu m’as donné.

Aussi je ne m’étonne plus, finalement, de t’avoir pris dans la neige, et dans les genêts, alors que tu chantes si bien les renouveaux et les printemps qui suivent l’hiver.

Résumé de l’éditeur

« Ce livre est à la fois une danse, un chant et un éclat de lune, mais par-dessus tout, l’histoire qu’il raconte est, et restera à jamais, celle de la Petite Indienne. »

La Petite Indienne, c’est Betty Carpenter, née dans une baignoire, sixième de huit enfants. Sa famille vit en marge de la société car, si sa mère est blanche, son père est cherokee. Lorsque les Carpenter s’installent dans la petite ville de Breathed, après des années d’errance, le paysage luxuriant de l’Ohio semble leur apporter la paix. Avec ses frères et sœurs, Betty grandit bercée par la magie immémoriale des histoires de son père. Mais les plus noirs secrets de la famille se dévoilent peu à peu. Pour affronter le monde des adultes, Betty puise son courage dans l’écriture : elle confie sa douleur à des pages qu’elle enfouit sous terre au fil des années. Pour qu’un jour, toutes ces histoires n’en forment plus qu’une, qu’elle pourra enfin révéler.

Betty raconte les mystères de l’enfance et la perte de l’innocence. À travers la voix de sa jeune narratrice, Tiffany McDaniel chante le pouvoir réparateur des mots et donne naissance à une héroïne universelle.

3 commentaires sur “Betty de Tiffany McDaniel

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    1. Merci beaucoup pour ton passage par ici ! Je n’étais pas très sûre à l’idée de poster une chronique comme celle-ci, un peu décalage et beaucoup trop personnelle pour être appelée chronique mais elle est plutôt bien passée ^^

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