Sauvage de Jamey Bradbury

J’arrive bien après la bataille, le roman étant paru en août 2019, mais je me donne aussi la possibilité sur mon blog et instagram de ne pas toujours chroniquer des nouveautés mais de redécouvrir le fonds des maisons d’édition que j’affectionne. Il en va ainsi pour les éditions Gallmeister dont j’ai adoré Dans la Forêt de Jean Hegland ou encore My Absolute Darling de Gabriel Tallent. Des romans puissants, étonnants, véritables petits ovnis littéraires seulement parce que je lis peu de Gallmeister et que chacun d’entre eux est un coup de coeur. Sauvage ne fait pas exception à la règle : malaisant, malsain, dérangeant mais aussi terriblement onirique dans cette Alaska profonde et enneigée.

Résumé éditeur

À dix-sept ans, Tracy Petrikoff possède un don inné pour la chasse et les pièges. Elle vit à l’écart du reste du monde et sillonne avec ses chiens de traîneau les immensités sauvages de l’Alaska. Immuablement, elle respecte les trois règles que sa mère, trop tôt disparue, lui a dictées : «ne jamais perdre la maison de vue», «ne jamais rentrer avec les mains sales» et surtout «ne jamais faire saigner un humain». Jusqu’au jour où, attaquée en pleine forêt, Tracy reprend connaissance, couverte de sang, persuadée d’avoir tué son agresseur. Elle s’interdit de l’avouer à son père, et ce lourd secret la hante jour et nuit. Une ambiance de doute et d’angoisse s’installe dans la famille, tandis que Tracy prend peu à peu conscience de ses propres facultés hors du commun.

Mon avis

Ses facultés hors du commun. Une part de moi hésite à vous livrer ce secret, ce don qui accompagne Tracy depuis sa naissance, peut être transmis par sa mère, par sa naissance dans le froid au devant du chenil, par son appétit vorace. Si je vous disais ce qu’elle fait, ce qui la pousse à sortir dans la forêt chaque jour, à courir, à chasser, ce qui la pousse à blesser si elle ne peut pas le faire, cela rendrait ma chronique plus aisée, moins floue et tout deviendrait plus clair pour vous. Mais ce serait aussi vous enlever une partie de la découverte. Parce que, même s’il en est question tout le long du récit, on met du temps à comprendre, à assembler toutes les pièces du puzzle pour découvrir avec dégoût ce à quoi notre héroïne occupe ses chasses. Avec dégoût et une certaine forme de fascination, comme si on observait là quelque chose de sombre, d’obscur, de profondément interdit.

Mais j’ai choisi de ne pas vous en parler. Alors tant pis, vous aurez le droit à la chronique décousue, peut être un peu sans queue ni tête, mais une chronique tout de même qui vous donnera j’espère envie de vous plonger dans ce chef d’oeuvre. Parce que ça en est un. De par son héroïne d’abord. Tracy a dix-sept ans, mais son quotidien est loin de ressembler à celui des autres jeunes filles de son âge. Déjà parce qu’elle vit en Alaska, un pays rude, au climat glacial et où on a tôt fait de devoir se débrouiller seul. Alors Tracy chasse, relève ses pièges, pose des collets, s’empare de la forêt comme d’un immense terrain de jeu et de secrets. Elle s’occupe des chiens de traineau de son père et rêve de suivre sa voie, celle d’un musher, un conducteur de traîneau, un coureur. Mais ses rêves se sont éloignés depuis la mort de leur mère, percutée par une voiture dans un virage dangereux. Que faisait-elle là, en pleine nuit, seule ? Qu’attendait-elle ? Que voyait-elle ? Ces questions hantent Tracy autant qu’elles la mettent en colère. Parce que sa mère a toujours été proche autant qu’elle était loin d’elle : secrète, discrète, la comprenant mieux qu’elle ne se comprenait elle même sans jamais révéler plus que ce qu’elle voulait bien lui dire. Déjà, depuis toute petite, l’adolescente grandit entouré de mystères et de mensonges. Mais toujours elle a eu la possibilité de conduire les chiens. Sauf depuis que son père s’éteint.

C’est finalement l’arrivée inopinée d’un mystérieux inconnu, de son agresseur, qui déclenchera des événements d’une rare brutalité dans sa vie, à commencer par la révélation complète de son don, seule pointe de fantastique venant maculé le récit. Depuis, Tracy se prépare. A se défendre, à défendre son territoire. Mais Jesse, qui vient de poser ses valises dans le cabanon de leur cour la perturbe. Pourquoi est-elle si certaine qu’il ment ? Vient-il vraiment du Maine comme il semble avoir persuadé son père, ou cache t-il un plus lourd secret ? Pourquoi les pièges autour de chez elle ont-ils été relevés ? Et qui a laissé ces traces autour de leur chenil ? Petit à petit la suspicion, les doutes, et ce qu’elle croit savoir se mélange et bientôt Tracy aura l’esprit aussi bouleversé qu’une tempête de neige.

Le climat de tension qu’instaure l’autrice au fur et à mesure du récit est extraordinaire. Impossible de lâcher le roman une fois commencé. Les dialogues, jamais complément directs, à peine des paroles rapportées donnent l’impression qu’ils s’étirent en longueur alors qu’ils ne font que donner des éléments de rythme au récit. On enchaîne les parties de chasse avec les disputes, les sorties nocturnes en traineau avec l’éclatante lumière de la neige, le froid mordant et la chaleur piquante. Forêt et maison, cabanon et courses. Les paysages changent à toute allure et restent pourtant inchangés, alors que notre héroïne s’enfonce dans sa tourmente intérieure, et grandit aussi. Et puis il y a l’amour aussi, l’amour et la colère, l’amour que porte Bill pour ses enfants, l’admiration que voue Tracy à son père, la tendresse qu’elle éprouve pour son frère, Scott, la rancœur qu’elle ressent aussi pour sa mère teintée de la perte atroce d’avoir perdu la seule personne qui pouvait la comprendre totalement, qui aurait pu lui donner les clés de son don. Il y a aussi le délicieux portrait d’une adolescente qui grandit, avec ses drames, ses envies profondes et sauvages et ses désirs. Mais l’angoisse continue de grimper, et on se surprend à gémir parfois, petit glapissement d’un chien de traîneau qui s’échappe de notre gorge alors que le récit se ressert de plus en plus et que la glace s’empare des os.

En résumé

Sauvage de Jamey Bradbury, est un petit OVNI littéraire délicieusement angoissant qui prend ses sources dans les paysages boisés et glacials de l’Alaska. Mené par une héroïne hors du commun, au don particulièrement surprenant autant qu’il est répugnant, le récit oscille entre thriller psychologique et nature writing. De mushing – courses en traîneau – en chasses, de portraits intenses en surprises, le lecteur est entraîné dans le sillage de Tracy : sanglant, brut mais d’une sauvagerie libre et délicate, comme peut l’être aussi l’adolescence. Un superbe récit initiatique que j’ai dévoré avec application, de bout en bout.

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