La voix des ombres de Frances Hardinge

Quand j’ai vu ce roman je suis tombée amoureuse de sa couverture et plus largement de l’objet livre lui-même avec son titre en relief, le soft touch tellement doux sous les doigts et les petites feuilles de chêne vertes…Et puis j’ai vu le nom de l’autrice, Frances Hardinge, j’ai repensé au coup de cœur énorme que j’avais eu pour le chant du coucou et je n’ai pas hésité.

Mon résumé

Makepeace et sa mère vivent dans le village reculé de Poplar en pleine Angleterre du XVIIe siècle. Tous les soirs, les voix reviennent la hanter et elle hurle dans la nuit noire. Lasse de tous ses cris et bien décidée à apprendre à sa fille à se défendre contre ses démons, sa mère l’enferme dans un caveau pour qu’elle « se taille un bâton pointu ». Commence alors pour Makepeace un combat inévitable et effroyable contre toutes les âmes perdues qu’elle croisera sur son chemin. Lorsque sa mère meurt, elle est envoyée vers sa famille paternelle, les Fellmote, une famille dont Margaret a toujours souhaité la tenir éloignée. Parce qu’entre les quatre murs de Grizehayes se cachent des ombres bien plus terribles encore…

Mon avis

La Voix des Ombres est un roman qui prend son temps, un roman lent, comme hanté, qui nous entraîne doucement vers son apothéose et que l’on ne peut s’empêcher de lire, soir après soir, comme si on ouvrait un peu plus la boîte de Pandore, le cœur rivé au destin de Makepeace. On suit avec délice ses aventures dans ce monde au bord du gouffre entre les protestants et les catholiques, le Parlement et le Roi d’Angleterre, Charles Ier, ce tournant que prend la vie de tous les anglais au cours du XVIIe siècle. C’est une période qui est peu décrite en Histoire, encore moins utilisée comme décor dans les romans. Sans nous donner l’impression de dépeindre une fresque historique, Frances Hardinge nous place judicieusement dans un pan historique dont on a finalement peu de connaissances en tant que lecteurs et qui reste donc propice à l’imagination. L’ombre de la guerre s’ajoutent aux ténèbres de Makepeace et forment un ensemble parfaitement coordonné l’une n’évoluant pas sans les autres et vice et versa. Ce parallèle, entre l’Histoire et l’adolescence de notre jeune héroïne est maîtrisé et on a autant plaisir à comprendre ce qui se passe autour d’elle qu’à l’intérieur.

 » — Les lions d’encre rugissent, déclara sa mère.
Londres était inondé de pamphlets rageurs, de sermons imprimés, de prophéties et de dénonciations, en faveur tantôt du roi, tantôt du Parlement. Sa mère les appelait en plaisantant « les lions d’encre ». Ils rugissent mais n’ont pas de griffes, affirmait-elle. Depuis deux jours, ces rugissements silencieux n’avaient cessé de grandir […] A présent, les rumeurs enflaient de façon menaçante, le pâle soleil semblait vaciller dans le ciel et tout le monde attendait que quelque chose se passe. A la moindre détonation, au moindre cri, les gens levaient aussitôt la tête avec l’air de demander : « C’est commencé ? » Personne ne savait vraiment ce que c’était, mais c’était imminent. »

Dans ce monde sur le point de tomber en ruines évolue la jeune Makepeace. Cette héroïne n’est pas sans faille, terriblement indépendante et naïve, solitaire, elle préfère ne pas se mêler aux autres de peur d’être trahie de la pire des manières. D’une certaine façon pourtant, elle reste presque trop « parfaite », avec un caractère tellement humain, bon, avec tout sa candeur malgré les épreuves, qu’elle m’a souvent fait l’effet d’un ange traversant les ténèbres. C’est un personnage très ambivalent, étrange, que j’ai beaucoup aimé suivre. Habitée par des fantômes, certains qu’elle a choisi, d’autres non, elle reste toujours égale à elle-même mais elle évolue aussi, à leur contact, au fil de leurs conversations, s’imprégnant d’eux tout comme eux s’imprègnent d’elle. Arrivée dans un manoir qu’elle connaît à peine, avec une bête furieuse à l’intérieur de la tête qui grogne, gémit et griffe, Makepeace se rend utile par tous les moyens. Jusqu’à ce qu’elle comprenne, qu’elle arrive à deviner entre les lignes ce qui se déroule sous ses yeux. Avec l’aide de James, un demi-frère orgueilleux mais attachant, un peu bête aussi, elle tente par tous les moyens de s’échapper de Grizehayes. Mais la famille Fellmote semble avoir plus d’un tour dans son sac, notamment grâce à la charte qui la relie au Roi et il est bien difficile de leur échapper.

« Grizehayes, l’invulnérable, Grizehayes l’éternel, avec ses murailles où les siècles semblaient incrustés comme des anatifes, Grizehayes, le rocher immuable au milieu du fleuve du monde. Leur prison, leur ennemi, leur abri, leur foyer. »

On croise au fil de notre lecture une foule de personnages, des bons, des gentils, des égoïstes, des fous, des opportunistes. On y voit un Ours de cirque, un chien tournebroche, des molosses, une Lady sombre et orageuse, les fantômes d’un autre temps, des âmes perdues, un médecin, des soldats, des espions, une ribambelle de destins qui s’entremêlent à celui de Makepeace et James, dans leur fuite, dans leur vie, dans leur poursuite ou dans leur salut.

« Des choses importantes vous ont échappé, à force de ne pas faire attention aux gens. Et maintenant, c’est trop tard pour vous tous. Cette guerre n’est pas comme les autres que vous avez livrées. Vos ruses et vos siècles ne vous aideront pas, cette fois. Ce qui arrive est sans précédent. C’est la fin du monde, Lady April ».

Ce roman je l’ai lu de bout en bout. J’ai adoré son personnage, son décor, cette guerre personnelle et historique, les combats qu’elle mène aussi contre le passé, les ancêtres, pour se défaire de ses fantômes. Frances Hardinge traite d’une manière tout à fait originale les questions de fantômes et de possession et arrive à nous emmener dans un monde étrange, sombre et dérangeant sans que cela ne soit jamais trop. Au delà des fantômes, l’autrice traite avec brio le passage de l’enfance à l’âge adulte dans une allégorie glaçante mais aussi pleine de tendresse.

« Il arrivait que les mondes finissent. Cela faisait pas mal de temps qu’elle le savait. »

En résumé

La Voix des Ombres est un roman que j’ai adoré. A la fois glaçant et enchanteur, tendre et solitaire, froid et sensible, il nous entraîne avec brio dans le sillage de Makepeace dans une Angleterre ravagée par la guerre. Avec un rythme lent, l’écriture de Frances Hardinge s’insinue en nous et nous hante la rendant à la fois fantôme…et conteuse.

2 commentaires sur “La voix des ombres de Frances Hardinge

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  1. J’avais entendu beaucoup de bien de cette auteure, j’ai décidé de lui donner sa chance avec « L’appel du coucou » auquel je n’ai pas du tout adhéré. Je suppose que je devrais lui donner une deuxième chance avec ce roman !

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    1. Oh mince… Le chant du coucou avait été un énorme coup de cœur pour moi, très addictif, sombre, avec cette dualité dans les personnages vraiment très intéressante 🙂 Pour La voix des ombres tout dépend de ce que tu n’as pas aimé dans Le chant du coucou 🙂

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