D’or et d’oreillers de Flore Vesco

Après avoir vu passer ce roman un peu partout sur la toile j’ai lentement laissé passer la hype pour pouvoir le lire plus tard, loin des « c’est trop bien lisez le ». Oui, je sais, venant d’une blogueuse c’est chelou mais que voulez-vous c’est la même chose que le cordonnier le plus mal chaussé. C’est la photo et la chronique de @lauradesmots sur instagram qui m’avait notamment donné particulièrement envie de me pencher dessus et j’ai bien fait !

Mon résumé

Lord Handerson, après des années de disparition, revient habité Blenkinsop Castle, demeure que tout le village de Greenhead croyait abandonnée depuis la mort du précédent locataire. Mieux, le richissime héritier semble chercher une épouse. Mrs Watkins, fort bien dotée de trois filles, Margaret, Maria et May entend bien retenir l’attention du lord. Seulement voilà, à chaque fille qu’il rencontre il donne une épreuve : se rendre dans une chambre de son manoir, sans chaperonne. Scandale ! Suffisant pour faire reculer Mrs Watkins ? Peut-être pas… Elles arriveront à cinq, et quatre repartiront. Mais celle qui restera sera t-elle suffisamment forte pour déjouer les chuchotements et pièges de ce manoir où règnent tristesse et sorcellerie ?

Mon avis

La Princesse au petit pois… En voilà un bien étrange conte à revisiter et c’est pourtant bien de celui-ci dont Flore Vesco s’inspire pour tisser son histoire. D’emblée, et pour mon grand plaisir, nous sommes plongés dans cette ambiance si propre au conte, où l’on s’imagine parfaitement, blottis au coin du feu à écouter une voix ancienne et forte nous parler d’une légende… Il y a quelque chose dans cette image de parfaitement hypnotique et cinématographique que j’affectionne particulièrement. Vient ensuite le ton employé par l’autrice, parfaitement en accord avec son sujet, nous plongeant avec délice dans une époque surannée, jamais clairement identifiée autrement que par les manières, us et coutumes qui s’y déploient. Ainsi les jeunes femmes se marient pour faire de bons mariages et se rendent à la nuit de noce vierges de toutes instructions, parlent d’une voix fluette, et mangent du bout de leurs couverts. Pas un mot trop haut, et une capacité hors du commun à contenir leurs émotions en public pour les laisser éclater en privé.

C’est donc en gardant tout cela en tête que nous faisons la connaissance de Margaret, Maria et May, les trois filles de Mrs Watkins, aussi différentes les unes que les autres. Automatiquement, notre coeur se dirige vers la gentille et fragile May, dont on se prend à croire qu’il s’agit sans nul doute de l’héroïne de cette histoire, mais l’autrice a plus d’un tour dans son sac.

A travers leurs regards effarouchés nous rencontrons ce fameux lord, qui a l’audace d’être charmant en plus d’être riche, mais surtout son manoir, si richement pourvu en tableaux, soieries, ornements d’or pur. Une apparence qui n’est que façade alors que d’étranges phénomènes se produisent : en dehors du majordome, aucun serviteur à l’horizon, pourtant les tables sont garnies copieusement de nourriture tous les soirs ; la chambre dans laquelle elles doivent dormir, seules et à tour de rôle n’a de cela d’étrange qu’un amoncellement de matelas ; quant au chat qui rôde il semble si bizarre et froid qu’il en paraît dangereux et menaçant. Non décidément rien ne semble aller…

Ce qui fait pour moi la force de ce roman c’est non seulement la réécriture du conte de Andersen, ni sa subtile apparition derrière le nom d’Handerson, mais bel et bien la plume acérée de l’autrice, un brin moqueuse, envers différentes situations. Le ton est d’ailleurs donné d’emblée alors que Mme Watkins émet trois prédictions : « Premièrement un orage éclaterait en fin d’après midi. Deuxièmemeent, les tulipes sortiraient tard, cette année. Troisièmement, une nouvelle extraordinaire allait bientôt lui être portée. » avant qu’on ne lise « En mars, les averses impromptues étaient quotidiennes à Greenhead. Dans cette région au climat rude, les tulipes poussaient toujours plus tardivement qu’au sud de l’Angleterre. Quant à la nouvelle extraordinaire, il suffisait d’observer la rapidité avec laquelle la voisine, Mrs Barrett, traversait l’allée pour conclure qu’elle amenait une information de la plus haute importance. » Autant pour la magie et l’instinct qui ne sont alors réduits qu’à de basses observations premières. Non Mrs Watkins n’a rien de mystique ou de mystérieux contrairement à la vraie sorcellerie qui entre le manoir de Blenkinsop Castle.

Deuxièmement, sans aucun doute son personnage principal : forte, déterminée, courageuse mais aussi à mi-chemin entre la conscience de sa propre valeur et celle des conventions sociales, elle est aussi intuitive que curieuse. Loin d’être la fameuse princesse tellement fragile qu’un petit pois la réveille, la jeune femme dort paisiblement en embrassant des rêves doux et sensuels. Érotisation des sens, du toucher, des odeurs et du goût, se fondent avec brio dans les murmures et l’étrange.

Et enfin, ce mélange brillant de beauté clinquante et de magie glauque, alors que des « morceaux de corps » se dévoilent peu à peu dans les chambres, les oreillers, les animaux domestiques. Éparpillés dans la demeure, ils sont autant d’yeux, d’oreilles, de bouches et de mains qui observent, touchent et chuchotent. Une sorcellerie bien sombre qui cache un passé trouble, envoyant baladé bien loin le joli conte d’Andersen pour lui redonner la cruauté des contes d’antan.

En résumé

D’Or et d’Oreillers est une très belle réécriture du conte d’Andersen, s’éloignant d’une princesse si fragile qu’un petit pois peut la réveiller à une prétendante forte, déterminée et sensuelle, qu’embrasser une fossette aussi bien que s’enfoncer dans une cave hantée n’effraie pas. Un mélange brillant d’érotisme, d’humour et d’épouvante, où se cachent des murmures et des faux-semblants. Une pépite !

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