Ogresse de Aylin Manço

C’est le premier roman d’Aylin Manço que je découvre et je dois dire que j’ai plutôt été très agréablement surprise. En même temps comment ne pas l’être ? La dernière phrase du résumé donne déjà tout le ton au récit : « et puis, un soir, la mère d’Hippolyte se jette sur elle et la mord ». Waouh. Déjà, là, j’étais soufflée !

Résumé éditeur

Depuis que le père d’Hippolyte est parti, tout dans la vie de la jeune fille est déséquilibré.
Sa mère s’enferme de longues heures à la cave et refuse de manger en sa présence.
Elle lui prépare pourtant d’énormes pièces de viande qu’Hippolyte se force à avaler. Dans la rue où elles habitent, en bordure de forêt, leur voisine préférée a disparu sans laisser de traces.

Et puis, un soir, la mère d’Hippolyte se jette sur elle et la mord. Que s’est-il passé ?

Mon avis

Ce roman est une petite pépite. On y suit les aventures d’Hippolyte, Hippie pour sa mère, H (comme Hache) pour ses amis. Tout plutôt que Hippo. Elle est jeune et son monde a perdu ses repères. Kouz, son ami depuis l’école primaire a définitivement changé et montre des photos de sa petite copine, Aurélie, seins nus, à son deuxième ami, Benji. Leur équilibre est précaire. Et H n’a aucune envie de faire la morale à son pote, pour ces photos. Encore moins d’écouter la « grosse Lola » la lui faire. Oui elle le laisse dire ce qu’il veut sur les seins d’une pote et alors ? C’est pas la mort. Et puis cette fille n’avait qu’à pas lui envoyer de photos. Ça c’est ce qu’elle dit, ce qu’elle se répète dans sa tête. Et pourtant, il y a son cœur qui tambourine dans sa poitrine, dans sa tête, qui fait même trembler les murs. Elle ment. Pour préserver le peu de stabilité qu’il lui reste.

« Il manque un mot dans la langue française, un mot pour qualifier les événements qui sont impossibles mais qui surviennent tout de même. Quelque chose de tellement inconcevable que, quand ça se produit, c’est comme si l’univers se fendait en deux, et vous vous retrouvez du mauvais côté, dans un monde presque pareil mais tout à fait différent. Et en réalité, c’est l’effet que la séparation de mes parents m’a fait. Et en réalité, c’est pour ça que j’avais vomi ce soir-là, pas à cause des desserts ; mon corps n’a pas supporté d’atterrir sur cette planète parallèle qui continuait de tourner alors que ma famille n’existait plus. »

Il faut dire que H n’a pas la vie facile. Son père est parti, presque du jour au lendemain, sans qu’on ne lui explique rien. Et ses petits sms de mots doux n’y changent rien. Parce qu’il n’est pas là. Ne reste qu’elle, et sa mère. Et H, sa mère, elle l’adore. Elle aide les petites vieilles du quartier, fait leurs courses, leur parle. Et puis elle récolte le sang aussi pour aider les patients, les malades. Sa mère est une héroïne. Alors pourquoi est-ce qu’un jour elle se jette sur elle et la mord ? Pourquoi est-ce qu’elle lui fait manger de la viande, tous les jours, même pas tout à fait cuite ? Et que fait-elle dans la cave, en bas, qu’elle refuse que sa fille voie ?

« Peut-être qu’un jour, il y a très longtemps, mon père a compris que je ne le choisirais jamais qu’à contrecœur. Peut-être que je l’ai pensé trop fort, trop près de lui. Peut-être que c’est pour ça que ça a été si facile, pour lui, de partir. »

Ce roman est une tuerie. Je vous le dis, c’est ainsi que je l’ai ressenti, c’est le premier mot qui est venu en le refermant. Il a cet aspect un peu conte de Grimm, un peu enchanteur, avec cette histoire abracadabrante de morsure, de sang et de viande. Un peu dégoûtante et horrifique aussi. Et pourtant c’est un drame familial touchant. Au delà de « l’ogresse », se cache une relation maternelle très belle et aussi immensément réaliste. Tout comme le désir pour les enfants de protéger leurs parents, envers et contre tout, peu importe le mal qu’ils feront. Peu importe ce qu’ils leur feront à eux. C’est à la fois beau et triste. Parce que c’est une réalité que vivent aussi des milliers d’enfants à travers le monde, à travers les coups, les larmes, ou juste la négligence de parents irresponsables. Mais c’est aussi une réalité que vivent des enfants dans des familles tout à fait saines, aimantes, c’est quasi instinctif, à peu près universel. Alors oui, c’est beau et triste, et Ogresse en est une formidable métaphore tantôt joyeuse, tantôt loufoque, tantôt dramatique.

Véritable page turner, le roman n’est pourtant pas exempt de beaucoup de tendresse, de découverte, d’apprentissage. Il montre comment, petit à petit, au contact des autres, on change, on évolue, on regarde le monde différemment. Comment un simple coup à travers un mur peut donner de la force et du courage. Comment une situation peut paraître horrible à première vue mais tout à fait bénigne en y regardant de plus près. C’est aussi l’histoire d’une formidable amitié qui se construit, entre préjugés et honnêteté entre Lola et H. C’est un roman qui t’apprend, à toi, lecteur, que tout vaut mieux que le mensonge, que la douleur, que l’aveuglement. Que, oui, tu peux blesser ton amie pour la faire grandir, pour lui faire voir le monde les yeux grands ouverts, pour la protéger.

En résumé

Ogresse est un roman qui sous ses airs de conte moderne cache bien des secrets plus sombres. Animé par une écriture sensible et poétique, c’est autant une histoire d’adolescence, d’amitiés, d’amour qu’un drame familial. La première page avalée, vous ne pourrez plus le lâcher. Pourtant, la dernière page refermée, pas sûre que vous aurez envie de manger. Vous voici prévenus…

Une autre chronique pour vous donner envie : celle de Hashtag Céline qui a eu un coup de coeur et vous parle aussi du rapport à la nourriture dans ce roman 🙂
(un rapport qui m’a un peu dégoûtée, mais c’est le but du roman, nous mettre très mal à l’aise)

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