Après Les Maux Bleus paru chez Gulf Stream Editeur j’avais bien envie de me lancer à la conquête des romans de Christine Féret-Fleury et j’ai eu la surprise de recevoir Mother Road en avant-première de la part des éditions Lynks. Une surprise génialissime.
Mon résumé
Un bouquet de roses qui cache des lames de rasoir. Une conversation surprise à la fenêtre la menaçant de mort. Et tous ces visages souriants devant l’autel… C’en est trop. Sarah prend la fuite, entraînant sa cousine, Rébecca à sa suite. La Ford bleue s’élance sur la route puis freine quelques mètres plus loin. Lavinia. La grand-mère. Elles fuient, courent après des rêves oubliés, s’échappent d’une vie pensée pour elle, s’éloigne des sources du malheur. Les pensées retournées.
« Sur la 66, vous n’existez pas ». Mother Road comme une échappatoire. Mother Road comme un bouclier. Et à leurs trousses, un psychopathe sanguinaire venu d’un autre temps.
Mon avis
« Mon enfance s’accrochait à moi comme un vêtement trop petit, qu’on ne se décide pourtant pas à jeter à cause de son odeur, des souvenirs et des larmes qui ont imprégné le tissus »
DES PERSONNAGES ÉCLECTIQUES ET JUSTES
Ce roman, bien avant d’être un thriller en forme de course poursuite, bien avant d’être un road-movie féminin, bien avant d’être un roman d’aventure sublime sur la route 66, est avant tout une histoire de famille. A travers le portrait de trois femmes : Rébecca, Sarah et Lavinia, l’autrice trace l’histoire d’une famille comme toutes les autres : désaccordée, avec ses secrets, son passé, ses souvenirs. Trois femmes que la vie a décidé de placer ensemble sur un chemin incertain où tout est encore à faire : se tracer un avenir, retrouver un amour perdu, mettre en ordre ses idées, dire la vérité, échapper au carcan que tous ont déjà prévu pour elles. La société. La famille. Les amis. L’amour.
Dans ce roman aux multiples narrations nous effleurons celles de Rébecca et de Sarah qui seront les principales protagonistes. A ces deux voix très fortes, viennent se rajouter celles du tueur, psychopathes à ses heures perdues, et de Lavinia, sur le dernier chapitre il me semble.
Rébecca a 17 ans. Elle n’est pas encore majeure, adore sa cousine depuis sa plus tendre enfance, l’admire beaucoup, se compare trop. Une adolescente légèrement stéréotypée qui sert essentiellement de faire valoir, de porte parole à ce diktat de la beauté, de la réussite et du génie. En cela, je l’ai peut-être trouvée un peu creuse, naïve dans ses pensées, égoïste dans ses propos, mais aussi paradoxalement très forte, courageuse et têtue. Même si elle trouve Sarah plus brillante qu’elle c’est pourtant bien Rébecca qui entrevoit les rouages de la machination qui se trame autour de sa cousine.
« Et puis il y avait Sarah.
Sarah qui était tout ce que je n’étais pas, qui possédait tout ce que je n’avais pas : une silhouette parfaite, un sourire éclatant, de longs cheveux roux, des yeux d’un vert tirant vers le turquoise, des traits réguliers. Un autre cliché, mais que j’enviais désespérément. Jamais, jamais, je ne pourrais égaler ma cousine si belle, si brillante, si douée. Je le savais depuis mon enfance, depuis toujours. J’avais vécu avec cette certitude, et j’y avais trouvé, de manière paradoxale, un certain soulagement. Tante Cornélia aurait dit : « A l’impossible nul n’est tenu ». Pour une fois c’était vrai. Je n’avais pas pris Sarah pour modèle, je n’avais pas tenté de suivre ses traces ou de la battre sur son propre terrain : je l’admirais comme on admire la trace d’une comète dans le ciel, splendeur d’une aurore, vol d’un aigle dans un ciel pur. »
Cette jalousie mal placée on l’a tous et toutes plus ou moins vécu, sans le vouloir, sans forcément que cela prenne des proportions aussi fortes, mais elle fut présente, cousin, cousine, frère et soeur, ami.e.s et ennemi.e.s, l’adolescence est cette période propice aux jugements, et même s’ils sont parfois inadéquats, c’est ce qui nous fait grandir ! Aussi, bien que son personnage soit à fleur de peau et extrême dans ses réactions, Rébecca est également authentique. Il n’y a pas que des héros et des héroïnes dans les romans, la perfection n’existe pas alors pourquoi vouloir l’inventer ?
Le second personnage, Sarah, est un peu plus effacé. Alors que c’est tout de même elle l’objet de cette fuite ! Elle est plus mature et a une certaine expérience de la vie. Pourtant elle a toujours appartenu à un monde bien précis, entourée de personnes choisies et triées sur le volet. Et il en va de même avec son futur mari qu’elle laisse au pied de l’autel : Adrian. Adrian qui a toujours voulu contrôler le moindre fait et geste de sa future compagne. Adrian et l’étincelle dans ses yeux qui l’électrise, lui fait peur et l’excite à la fois. Adrian qu’elle a vu tuer un chien dans un excès de rage. Adrian qu’il faut désormais fuir, sans se retourner. Fuir les visages qui la regardent. C’est dans cette unique décision que le personnage de Sarah se concentre et j’ai parfois trouvé cela un peu dommage. Malgré tout, elle offre également un point de vue intéressant et inédit sur sa propre famille et la façon dont elle-même l’a formatée et l’a formate encore.
« C’est si confortable de ranger les gens dans de petites boîtes toutes préparées, déjà ornées de leur étiquette : Grand-mère cardiaque, Prince charmant, Père indulgent, Mère tyrannique et obsédée par la réussite sociale, Ami fidèle, Frère rebelle, Cousine timide. Je n’avais jamais cherché plus loin. Ma famille, au sens élargi, représentait le cadre immuable de mon enfance ; je voulais vivre d’autres expériences, connaître des gens différents, découvrir de lointains horizons, et la retrouver, à mon retour, inchangée.
Mais la pyramide des petites boîtes s’était écroulée, et créatures étranges en étaient sorties, des créatures complexes, effrayantes, inconnues ».
Et c’est en cela sans doute que les personnage de Lavinia et de Dwight – dont je ne vous ai pas encore parlé – sont très importants. Alors que Lavinia se transforme du tout au tout sous les yeux de Sarah et Rébecca qui l’ont toujours crue cardiaque, élégante et froide, le personnage de Dwight est pour elle une véritable révélation. Récupérée sur le bord de la route, la jeune amérindienne, puisque c’est ainsi que j’ai cru la percevoir, sort des sentiers battus : aventurière, voyageuse solitaire…et lesbienne. Les voilà toutes les quatre embarquées dans une Ford bleue, toute neuve, direction la route 66. En chemin des révélations chocs, des vérités toutes nues, et des tensions familiales piquantes. Et un tueur en série.
Il faut dire qu’avec ces quatre là dans la même voiture, notre tueur psychopathe, sexiste, misogyne, taré (en bref un gros méchant bien actuel hein) avait du grain à moudre… Et je ne vous dirais absolument pas qui c’est, vous devrez vous aussi attendre les dernières pages et vous retrouver sur les fesses ! Petit extrait tout de même pour vous montrer les traits d’esprit remarquables de ce personnage détestable. On se demande également si l’autrice ne fait pas une hyperbole de tous ces mecs dans la rue, tous ceux qui sifflent, agressent, humilient, violent des femmes. Il y a d’ailleurs de chouettes articles comparant les féministes aux sorcières, certains y verront un parallèle très adéquat avec ce roman… 🙂
« En un éclair j’ai vu cet avenir qu’elle promettait, un avenir où la crainte de Dieu aurait déserté les coeurs, où les chants impies résonneraient sous les étoiles indifférentes. Où les femmes, au lieu de courber la tête, se dresseraient avec insolence, étalant leur péché. Sorcières. Toutes des sorcières. Celles qui prétendaient soigner ou enseigner. Celles qui vivaient seules, sans la protection d’un mari. Celles qui mettaient au monde des enfants illégitimes. Celles qui prétendaient disposer de leurs terres et de leurs biens. Sarah reviendrait, et reviendrait encore, pour jeter les hommes de ma sorte dans l’affliction, pour les montrer du doigt à la foule haineuse.
Je n’ai pas entendu le bruit de la trappe qui s’ouvrait, je n’ai pas vu le corps tomber et se balancer, la nuque brisée ».
Bon ce n’est pas tout de parler des personnages, de la famille, des liens du sang, et tout, mais il faudrait peut-être aussi parler de l’intrigue ! De ce tueur fou ! Des références au procès de Salem ! J’y viens, patience…
UNE INTRIGUE SURPRENANTE ET PALPITANTE
Je ne m’attendais pas être aussi bluffée et aussi accro à cette histoire. Il faut dire que l’écriture fluide, efficace, et talentueuse de Christine Féret-Fleury n’y est pas pour rien puisqu’elle nous entraîne inexorablement sur Mother Road et on se sent presque l’âme en fuite, en compagnie de nos quatre héroïnes. Dès le départ il nous est donné toutes les clés pour comprendre. On nous donne tous les indices, on a juste à enfiler une casquette de Sherlock Holmes et à tout bien regarder. Mais on est si vite emporté par cette cavalcade qu’on en oublie l’élément essentiel… la famille. TUTUT vous n’en saurez pas plus !
Jusqu’au bout l’autrice nous tient en haleine en ne nous révélant pas l’identité du tueur psychopathe. En cela il m’a beaucoup fait penser à un roman que j’avais lu plus jeune : Maya Fox 2012 d’Iginio Straffi et Silvia Brena, où le tueur en série rédige des lettres et où l’on se retrouve finalement dans sa tête mais sans connaître son identité. Tous les narrateurs de Mother Road étant à la première personne il est d’autant plus aisé de se glisser dans ce personnage dégoûtant. C’est à travers son point de vue que nous aurons le plus d’éléments sur les ancêtres des Lefèvre (ou Lefebvre) qui remontent au procès de Salem. Délicieux secret qui lie les deux cousines, celui de la porte dérobée derrière la penderie de Sarah et qui donne directement dans un grenier où des tas d’affaires y sont entassées. Par ces ingénieux flash back, nous comprenons bien vite que notre tueur psychopathe, semble être possédé/obsédé par l’être abjecte qui avait déjà fait pendre l’ancêtre de Sarah, (je vous l’ai dit c’est une affaire de famille) et l’autrice introduit ainsi un élément ésotérique, presque fantastique à son roman. Apportant également un peu plus de cette noirceur à un road-movie autrement très tranquille.
D’ailleurs c’est sans doute là son ingéniosité. Cette cavalcade, cette fuite éperdue sur la route 66 avec aux fesses un tueur fou, oblige les personnages à évoluer vite, très vite et à se révéler, ce qui donne également l’impression que le roman, qui fait tout de même 300 pages, va très (trop) vite. Pour comprendre ce roman et ne pas se prendre la tête, je pense qu’il est utile de garder à l’esprit qu’il y a de très nombreux éléments qui ne sont pas nécessaires, mais qui ajoutent un plus, un élément supplémentaire qui va accrocher le lecteur, l’entraîner.
Pour ne plus le laisser repartir.
Et puis…soyons honnêtes, c’est tout de même vachement plus amusant !
En résumé
Mother Road est un road-movie palpitant où trois générations de femmes vont apprendre à se connaître, se découvrir et à s’ouvrir. Finis les secrets. La route 66 est un sillon invisible qui les pousse enfin à se révéler et à sortir des carcans habituels que la société a construit pour elles, des petites boîtes créées de toutes pièces. A travers un thriller quasi historique où féminisme et sorcellerie se mélangent, Christine Féret-Fleury pointe du doigt, encore une fois, les stigmates de notre société moderne et entraîne son lecteur dans une reconquête de soi et de sa liberté. Un roman addictif qui vous surprendra jusqu’à la fin.