Faune et flore du dedans de Blandine Fauré

Et voici enfin ma chronique de Faune et flore du dedans que j’ai pourtant terminé de lire depuis vendredi mais que je n’avais pas eu le temps de rédiger avec le salon du livre du Mans. C’est également mon quatrième 68 premières fois.

Mon résumé

Louise, artiste plasticienne, intègre à force de conviction et d’audace une équipe de scientifiques. Nouveaux explorateurs de la selva, la jungle amazonienne leur ouvre des portes insoupçonnées aussi bien sur ses abysses les plus profonds, envoûtants, hypnotisants, que sur leur propre passé. A travers cette fuite naturelle, cette volonté de percer les secrets de ces lianes qui étouffent la forêt, c’est sa propre âme que Louise va tenter de dompter.

Imprégnée jusqu’au cou de cette liberté sauvage, de nombreux souvenirs se mêlent à cette expédition : celui de sa mère, de son père, d’Igor et même du scientifique en tête de l’expédition pour qui elle voue une admiration sans borne. Et tout au fond, il y a cette volonté d’enterrer, d’enfuir dans la terre ce qui déborde, griffe et lacère le cœur.

Mon avis

J’ai eu un peu de mal à rentrer dans ce premier roman qui pour moi ne correspondait pas à ce que j’attendais. Je voulais plus de mystère, d’onirisme, de voyage, de percée sauvage. Je voulais une exploration de cette jungle, de cette selva. Je voulais une femme forte qui s’impose au sein de cette expédition. Et il est bien dur de se détacher de son envie première, de se dire « ok, c’est pas ce que je voulais mais voyons voir ce que ça donne » alors j’ai fait quelque chose que j’aime beaucoup faire. J’ai dormi. Et je me suis réveillée les idées bien claires, sans attentes particulières et j’ai repris ma lecture. Et la forêt amazonienne m’a envoûtée.

La prose de Blandine Fauré s’étend telles les ramifications d’un arbre centenaire qui contiendrait tous nos souvenirs. A travers ses lianes tentaculaires, l’autrice trace le portrait d’une femme au bord de la dérive, qui apparaît pourtant de prime abord comme effrontée, insolente, sûre d’elle alors qu’elle s’adresse à cet homme, ce docteur que tous admire. Elle ressort de ce bureau bouleversée mais aussi terriblement convaincue et déterminée. Elle veut partir. Elle partira. Un peu pour elle, un peu pour lui.

Plasticienne, elle souhaite découvrir dans les arbres, les plantes, les oiseaux, ce qu’elle ne trouve pas dans la ville : la liberté, la lenteur, la quiétude. Pourtant à travers ses branchages ce sont les souvenirs qui reviennent la hanter, la prennent par surprise, la tétanisent. Mais c’est aussi le clapotement d’un pecque pecque sur l’eau, le bruissement des feuilles, la chaleur moite qui la lavent, lui permettent de s’étirer, toucher du doigt la sensation de plénitude. Alors que même dans cette forêt dense, touffue et mystique, c’est l’amour, le désir qui viennent la cueillir.

« Tes yeux avaient eu cet éclat métallique qui surgissait parfois lorsque tu t’ouvrais et te refermais simultanément. Nous en étions à nouveau là tous les deux, au bord de nous-mêmes, tendus l’un vers l’autre comme deux prisonniers, empêchés, retenus par de solides et invisibles chaînes. »

Un amour platonique, uniquement tiré de regards, de commentaires sur les lianes, les feuilles et les arbres centenaires. Un amour sous tension permanente, parce qu’il y a toujours, là bas de l’autre côté quelque chose qui les retient, qui les empêche : une famille, un passé. La narratrice tutoie beaucoup cette présence masculine, l’apostrophe et n’arrive guère à s’en défaire. Il y a d’ailleurs peut-être là cette faiblesse dans l’écriture, ce désir permanent de revenir à cet homme, Joachim, alors qu’il ne me semble pas essentiel.

« Nous filons sur l’eau, silencieux, stupéfaits par tant de beauté, rendus inconscients par la pureté sauvage de cette immense source qui nous entoure. Je suis sans voix, sans mots, j’ai peur de briser la solennité de notre émerveillement par des paroles, j’ai peur d’altérer l’âme pure de ce lieu primitif où la terre et le ciel se rejoignent en une racine liquide et souple. Je sens notre ravissement grandir en silence et je suis fière de connaître ce bout du monde avec toi, mais je sens aussi, à côté de l’éblouissement dont nous couvons ce paysage grandiose,  une gêne monter, petite et lancinante et qui me nargue avec sa minuscule ironie : c’est ta nuque, et mon incapacité à ne pas revenir à elle malgré la beauté du lieu. Ta nuque qui rivalise en moi avec l’extrémité de cette terre, avec le foudroiement de la vie prodigieuse, incomparable – jusqu’à la dissolution de tout le reste »

Ce que j’ai particulièrement apprécié ce sont tous les vas et vient entre le passé et le présent, déclenchés par on ne sait quoi : la danse des oiseaux, le calme plat du rio Samiria, l’obscure disparition de Luis dans les branchages, un sommeil qui tarde à être trouvé. Tout est propice à retrouver ce passé lourd, pesant, cet Igor dont on ne saura finalement que peu de chose si ce n’est qu’il est sauvage, possessif, féroce ; cet enfant qui n’aura jamais vu la lumière et le ventre vide qu’il laisse ; ces frères et sœurs qui sont comme des bouées ; et cette grand-mère, adorable, maternelle, contrepoint de ce triste passé. Blandine Fauré entremêle ses souvenirs aux branchages de la forêt, les entament dans les bras des grands singes, les tissent dans ses rêves. Voilà l’effet que me donne l’autrice : une tisseuse.

A cette voix narrative extrêmement présente, forte et poétique se rajoute celle du docteur, ce fameux scientifique dont on apprend finalement que très tard le nom.

« Mon frère était atteint d’une maladie mentale irréversible. Quelque chose qui vous déplacer dans les sillons, les rainures où personne ne va. Son arrivée nous déporta, ma famille et moi, dans un lieu où nous ne parvenions plus à savoir qui nous étions. A nous reconnaître nous même. Notre petite cellule, qui vivotait jusque là dans l’harmonie jamais remise en cause, ne pouvait résister. Mon frère griffait nos visages et nos vies avec peut-être, au fond de lui, la rancune de celui qui ne sera jamais assez aimé ».

La fin éclot doucement, nous fait languir, s’attarde sur des choses dont on a finalement que faire, on aurait aimé peut-être, rester en Amazonie, dans cette jungle immense, qui aura touché tout le monde, impacté les forts et les faibles. Et nous y revenons, lentement, à petits pas, à travers les photographies de Louise, à travers les mots de Joachim, à travers les morts et les vivants, la forêt Amazonienne est là, mystérieuse, révélatrice, brumeuse. Elle a rendu la paix.

En résumé

A travers ces définitions scientifiques, ces descriptions oniriques, et ces fantasmes poétiques, Blandine Fauré nous emporte au cœur de la forêt Amazonienne, la nôtre, celle que l’on a au fond de nous, de notre âme et qui nous attend patiemment. Avec une voix narrative extraordinaire l’autrice a finalement su me convaincre de rester dans cette jungle moite et luxuriante. Si je regrette parfois le « trop » stylisé, les phrases qui auraient mérité d’être raccourcies et le manque, peut-être, de mysticisme, j’en admire pas moins cette prose envoûtante qui ne laisse que peu de place à la respiration. C’est un voyage extraordinaire, au cœur de Louise et de soi, auquel nous convie Faune et flore du dedans, oserez-vous tenter l’aventure ?

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