Le réalisateur Jean-François Lesage présentera son film Un amour d’été ce vendredi à 21h au Théâtre.
Entretien chaleureux ponctué de quelques expressions québécoises.
Conte du Mile End portait aussi sur les relations amoureuses et dans une moindre mesure sur la nuit. Pouvez-vous établir une relation entre celui-ci et Un amour d’été ?
Pour Conte du Mile End j’ai suivi un ami, qui s’était fait laisser par sa copine, pendant cinquante nuit. C’était dans un petit quartier de plus en plus branché, de plus en plus embourgeoisé à Montréal, mais avec une très belle diversité, et qui a beaucoup attiré les musiciens de partout au pays. J’ai alors décidé d’en faire mon studio à ciel ouvert et puis de suivre cet ami qui allait poser des questions aux gens qu’on rencontrait par hasard surtout sur l’amour et l’infidélité.
Dans Un amour d’été, cette fois, je n’avais pas cet ami et c’est moi-même qui était en peine d’amour après une brève aventure. Et là je suis allé sur le Mont Royal pendant tout le mois d’août, c’était en 2013, toutes les nuits sauf celles où il y a eu de la pluie. Il n’y avait plus cet autre, cet alter ego, cette personne que je pouvais suivre, non là c’était vraiment moi sur la montagne donc il y avait plus un côté voyeur où on se promène d’un groupe à l’autre. J’avais aussi le goût que ce soit très atmosphérique, peut-être un petit moins dans la parole que Conte du Mile End, où il y a énormément de discussions à n’en plus finir, où chacun essaye d’expliquer de façon rationnelle son chaos amoureux.
Dans ce dernier film, c’est comme quelqu’un qui regarde à travers la forêt des couples qui ont l’air de bien s’amuser, ou des groupes qui parlent sur l’amour alors que lui n’est pas invité à la fête. Un peu comme la Petite fille aux Allumettes qui regarde une famille en train de manger de la dinde à Noël alors qu’elle gèle dehors. Il y a vraiment une continuité entre les deux mais j’avais le goût qu’un amour d’été soit un petit peu plus atmosphérique, un petit peu plus abstrait par moment aussi, mais c’est une même quête. Les deux films sont tournés la nuit comme tous mes films précédents.
Vous n’avez donc pas peur du noir ?
C’est encore drôle j’ai un peu peur du noir, mais je suis attiré par ce qui me fait peur.
Un amour d’été a-t-il eu un effet thérapeutique sur vous ?
Je n’étais pas sûr que ça allait être thérapeutique, mais je pense que oui, je pense que ça a été super de me lancer dans une activité comme faire un nouveau film. Je me suis dit : « c’est Montréal, tout le monde est amoureux, sauf moi, ça va être un été de merde, donc aussi bien faire un film ».
Ce film découle donc réellement de votre relation amoureuse ou étiez-vous déjà passé au Mont Royal avec cette idée en tête ?
J’avais vraiment le goût d’aller recueillir encore une fois des propos sur l’amour, mais j’avais le goût aussi qu’il y ait vraiment une atmosphère très forte. Et puis je voyais que chaque soir il y avait beaucoup de monde qui se regroupait sur le Mont Royal après la fermeture du parc. Et effectivement, c’est complètement fou la vie qu’il y a sur le Mont Royal l’été, avant la fermeture mais aussi, et surtout, après la fermeture. Et j’espère que mon film ne fera pas en sorte qu’il y ait 200 policiers patrouillant le Mont Royal et qu’il n’y ait plus moyen d’aller s’amuser là bas…
Et puis, je passais souvent devant… Le Mile End c’était ça, c’est que dans le fond j’y vivais à cette époque, j’y marchais souvent, donc forcément je passe devant le Mont Royal, il y avait une curiosité et j’avais le goût d’aller voir ce qui se passait là bas la nuit.
Vous avez donc tourné de nuit et sur l’intimité des gens, aviez-vous des contraintes
sur le tournage ?
Au niveau du consentement je n’ai aucune marge de manœuvre alors j’ai dû demander à chaque fois aux gens la permission et puis faire signer des papiers. Même si parfois je commençais à tourner avec mon équipe, un petit peu avant, à travers les buissons, il fallait à un moment donné sortir et puis expliquer ce qu’on faisait ; mais très sommairement, je ne voulais vraiment pas influencer les conversations. La seule indication qu’on donnait c’est que le film s’appelait Un amour d’été. Mais souvent les gens se disaient « on va parler des amours d’été », ou bien ils continuaient avec la conversation qu’ils avaient avant notre arrivée.
Certains ont refusé ?
Oui mais les gens étaient assez ouverts. Cet été j’ai tourné un autre film mais dans la campagne québécoise et il y avait plus de méfiance, c’était plus difficile. Sur le Mont Royal la nuit, les gens étaient d’accord, sans trop poser de questions en plus sur ma démarche. Peut-être qu’il y a une atmosphère un peu festive aussi qui facilite peut-être les choses.
Mais c’est quand même merveilleux, j’ai l’air de me plaindre, mais c’est quand même merveilleux qu’il y ait des gens qui acceptent d’être dans des documentaires de création, je les remercie, même si des fois c’est dur de les convaincre et que ça peut être une source de frustration.
Avez-vous rencontré d’autres difficultés sur le tournage ?
Bah c’est toujours difficile un tournage, mais c’est intéressant parce que j’aime l’idée « je loue une caméra et il est pas question qu’elle reste sur le plancher de ma chambre à rien faire ». Alors faut que je la fasse travailler. Donc chaque jour je me rends à mon lieu de tournage, que ce soit Mile End, ou la montagne ou cet été c’était une rivière, à chaque jour je dois y aller, et peu importe ce que va être la récolte à la fin de la journée. Et puis y a quelque chose que j’aime dans cette petite période un peu acétique du tournage qui est d’un mois ou deux mois, où même s’il y a une mauvaise journée, le lendemain on y retourne, on est là à nouveau. Il y a quelque chose qui me plaît là dedans, peu importe le résultat de chacune de ces journées là. J’aime ça aussi d’être surpris un peu par le matériel en montage et en juxtaposant une scène à l’autre et puis de voir que ça peut créer quelque chose de totalement fun. Moi je trouve que mes tournages sont très maigres en joie c’est plus en montage que je me dis « ah bah finalement c’était pas mal ».
La musique et les poèmes jouent un tel rôle dans le film, que celui-ci ne pourrait pas être envisagé sans eux…
En fait, un matin justement où j’étais découragé, j’ai alors lancé comme deux bouteilles à la mer : j’ai écrit sur Facebook à Gold Zebra que je ne connaissais pas, je n’étais qu’un fan de ce groupe…Puis au poète Jonathan Lamy. Et j’ai reçu une réponse positive où tous me disaient oui ; qu’ils étaient prêts à me rencontrer pour discuter de mon film. Alors vraiment, oui ,ça m’a lancé dans l’action, dans le film.. C’est ça, parfois, quand les étoiles s’alignent un peu. Ça a été comme une éclaircie sur la dure route d’auteur indépendant.
Propos recueillis par Camille Choloux, Hélène Schmoor et moi-même sur le Festival International de La Roche-sur-Yon (85).
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